FACTURE INSTRUMENTALE


Chacun peut fabriquer un instrument de musique, du plus simple (une herbe ramassée au bord d'un chemin) au plus complexe (l'orgue liturgique) ! Ce sont bien souvent des aventures humaines dictées par le plaisir, la nécessité, ou la vocation.

 

 Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 2006-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 23 septembre 2024.


SOMMAIRE

Aérophones

. Corne (Khmer - Cambodge)

. Flûte à bloc en bambou (Kreung - Cambodge)

. Flûte de Pan en bambou (Kreung - Cambodge)

Idiophones

. Balafon (Burkina Faso)

. Bol tibétain (Népal)

. Carillon de bambou éclaté (Khamu - Laos)

. Carillon de bambou éclaté (Kreung - Cambodge)

. Guimbarde en bambou (Khmer - Cambodge)



Aérophones

Corne (Khmer - Cambodge)

Cette vidéo a été tournée au Cambodge dans le cadre de notre mission de reconstitution des instruments de musique angkoriens. L'archéologie n'a jamais fourni d'instrument réel puisqu'il s'agit de matière organique et que le Cambodge se situe en zone de mousson. En revanche, l'iconographie nous offre de nombreux bas et haut-reliefs, notamment dans la figuration des scènes de bataille dans l'épopée du Ramayana. Par ailleurs, ce type de corne à embouchure terminale est encore en usage chez certaines ethnies d'Asie du Sud-Est.

Nous avons décidé d'agrémenter cette paire de cornes d'une monture en laiton comportant des motifs angkoriens. Il s'agit d'un geste artistique délibéré qui n'engage que nous car nous ignorons si ce type de décoration existait sur les instruments d'époque.

Lieu & date : Cambodge. Banlung. 8 avril 2012.

Durée : 06:12. © Patrick Kersalé 2012-2024.


La séquence pas-à-pas

Il existe deux qualités de cornes de buffle : légères et lourdes, toutes proportions gardées. Les premières sont privilégiées car seule l'extrémité de la pointe de la corne est remplie de matière.

00:00 - Hauts-reliefs du temples d'Angkor Vat puis de Banteay Kdei montrant les singes de l'armée du Ramayana soufflant dans des cornes.

00:14 - Troupeau de buffles d'eau domestiques dans leur élément naturel préféré.

00:22 - Paire de cornes déjà perforées, sans monture ni lien de portage et enregistrement de ces deux instruments qui donnent toujours la même note à quelques comas près, d'où le léger battement perçu.

00:30 - M. Lam Duon, le fabricant. Sciage de l'extrémité. Perçage à la perceuse électrique afin de gagner du temps dans le long processus de fabrication (une journée de travail par corne). 

00:56 - Chauffage d'un tige de fer dans le foyer de la cuisine familiale. Brûlage de la corne. Beaucoup de fumée se dégage mais seulement un à deux millimètres sont gagnés à chaque passage. Dès que le fer n'est plus rouge, il n'est plus efficace. Voilà pourquoi il convient de mettre plusieurs fers au feu. Cette reconstitution était une première au Cambodge !

01:46 - Devant la difficulté de la tâche, la fille de la famille décide de prendre le relais et tente un percement par l'ouverture… Un peu comme pour le tunnel sous la Manche ! En espérant se rejoindre en face !

01:53 - Réalisation de deux encoches pour fixer le lien de portage. Reconnaissons que l'outil n'est pas adéquat, mais nous sommes dans l'un des pays les plus pauvres du monde…

02:09 - Nettoyage de la corne. Troupeau de buffles d'eau.

02:23 - Paire de cornes avec lien de portage en tressage de fibres de palmier et montures ornementales.

02:29 - Les montures découpées et formées, prêtes à être soudées par une entreprise familiale fabriquant habituellement des bijoux et des objets de mariage en argent et en cuivre. Dépôt et chauffage de l'ingrédient de soudure. Le feu est attisé par un ventilateur électrique. 

03:12 - Refroidissement instantané de la monture. Brossage pour ôter l'oxydation rosatre du métal due au chauffage. 

03:36 - Martèlement, limage et insertion de la corne dans la monture. Pliage, découpe des angles avec les mêmes ciseaux utilisés pour découper les montures. Ajustements divers.

05:03 - Brossage final. 

05:24 - Dépôt d'un enduit noir afin de donner du relief à la gravure. Nettoyage de la couche supérieure en excès. Monture et cornes terminées.

 

Flûte à bloc en bambou (Kreung - Cambodge)

Cette fabrication de flûte en bambou (duar) a été captée en janvier 2012 dans le village kreung de Kro Pou (Ratanakiri), même village que la fabrication du carillon de bambou éclaté. Il s'agit d'un document exceptionnel sur le plan musicologique car il témoigne du système de la pensée des Kreung et, d'une manière générale, des ethnies de cette région. En effet, les seuls outils de mesure traditionnels sont les dimensions corporelles et les rapports qu'elles entretiennent entre elles. Le couteau à long manche, calé sous le bras, est utilisé par toutes les ethnies de la région. La lame opère toujours vers l'extérieur. Les gestes sont précis.

 

Ce qu'il convient de retenir sur la fabrication elle-même :

  • Les prises de proportions relatives au diamètre du bambou
  • Le report de proportion pour la lumière (ouverture au niveau du biseau)
  • Le report de proportion pour la détermination de la position du premier trou de jeu
  • Le report de proportion entre chaque trou de jeu
  • Le report de proportion pour le diamètre des trous de jeu carrés.

Lieu & date : Cambodge. Vill. Kro Pou. Janvier 2012.

Durée : 07:06. © Patrick Kersalé 2012-2024.


Flûte de Pan en bambou (Kreung - Cambodge)

Ce document est exceptionnel sur le plan musicologique car il témoigne du système de pensée des Kreung et, d'une manière générale, des ethnies de cette région. En effet, les seuls outils de mesure traditionnels sont les dimensions corporelles et les rapports qu'elles entretiennent entre elles. Le couteau à long manche, calé sous le bras, est utilisé par toutes les ethnies de la région. La lame opère toujours vers l'extérieur. Les gestes sont d'une grande précision.

Concernant l'échelle musicale, on découvre ici que ce n'est pas l'oreille qui détermine la hauteur des sons mais bien un système de proportions hérité de la tradition. Il en va de même pour la fabrication de tous les objets de ces sociétés (instruments de musique, maisons, greniers à riz, mobilier, outils, etc).

Lieu & date : Cambodge. Vill. Kro Pou. Janvier 2012.

Durée : 06:13. © Patrick Kersalé 2012-2024.



Idiophones

Balafon (Burkina Faso)

Cette vidéo commentée décrit le processus de fabrication d'un balafon. Elle a été tournée dans l'ethnie Bobo de Bobo Dioulasso qui compte de nombreux et talentueux musiciens professionnels.

 

Lieu & date : Burkina Faso. Bobo Dioulasso. Décembre 1999.

Durée : 06:27. © Patrick Kersalé 1999-2024.


Carillon de bambou éclaté (Khamu - Laos)

Ces deux séquences présentent l’instrumentarium festif des grandes occasions de l’ethnie Khamu du village de Ban Na dans la province d’Oudom Xai au Laos. Le tournage a été réalisé hors contexte, les villageois s’étant prêtés de bon gré à l'organisation de ces festivités spécialement pour notre tournage, ce qui n’enlève rien à son authenticité. Au Laos, on est toujours prêt à faire la fête !

Nous avons scindé le projet en deux parties : la première vidéo est consacrée à la fabrication, et la seconde, au jeu.

De bon matin, les villageois partirent en forêt pour couper des bambous. De retour vers seize heures, tous les hommes compétents se rassemblèrent sur la grand-place pour construire des percussions mélodiques éphémères. En effet, une fois la fête terminée, elles sont abandonnés car le bambou, pour se conserver, aurait dû être plongé durant plusieurs mois dans l’eau afin de le prémunir contre les fissures et les insectes xylophages.

Sur le champ de la fête se côtoient des joueurs d’instruments en bambou, en bronze et des chanteuses.

Sur le plan ethnomusicologique, la particularité de cette fête est liée à la simultanéité de jeu, dans un espace restreint, de trois ensembles :

  1. Le carillon de bambous mélodiques kaltong accompagné de cymbales et de gongs de bronze
  2. Les bambous percutés rythmant la danse appelée « danse des bambous »
  3. Les bambous pilonnés et le chant alterné entre hommes et femmes, ho ha (vidéo à 01:34).

C’est ce que l’on dénomme, une polymusique. Elle résulte de l’entrelacement sonore des instruments de bambou, de bronze, des voix d’hommes et de femmes. Les bambous mélodiques, les bambous pilonnants et les percussions de bronze sont joués par les adultes tandis que la danse des bambous est pratiquée par les jeunes filles.

Les scènes dépeintes ici sont emplies d’une certaine fraîcheur. Les musiciens ne sont pas des professionnels. En dehors du bref temps de la fête, ils n’ont pas l’occasion de répéter. Aussi comprend-on mieux leurs hésitations passagères au moment du premier contact avec l’instrument. La difficulté du jeu réside dans la pratique du hoquet, c’est-à-dire la réalisation d’une mélodie par plusieurs intervenant, chacun jouant à son tour une seule note.

 

Fabrication

Lieu & date : Laos. Province d’Oudom Xai. Village de Ban Na. Janvier 2006. 

Durée : 07:01. © Patrick Kersalé 2006-2024.


La séquence pas-à-pas

00:00 - Il est 16h00. Les hommes, partis à 6h00 du matin, reviennent de la forêt, la remorque remplie de bambous. Déchargement. Une course est engagée afin d'être prêts bien avant le coucher du soleil pour les besoins de notre tournage… Sous ces latitudes, la nuit tombe très vite. À 18h00 il fait nuit noire. 

00:25 - Test sonore d'un bambou. Démarrage de la fabrication du carillon. Il n'y a pas de note fixe, seulement des hauteurs relatives. Les longueurs sont définies en fonction des bambous disponibles puis reportées afin de créer une échelle musicale. Comme c'est le cas pour toutes les ethniques de cette région du monde, les mesures sont basées sur les dimensions corporelles : empan, petites et grandes coudées, largeurs de doigts ou de main, etc. On parvient au final à un résultat en relation avec le nombre d'or.

01:12 - Un seul outil est utilisé tout au long de la fabrication : le couteau-hache. Les minorités de cette région du monde n'utilisent jamais la scie pour couper du bambou du fait de sa structure fibreuse. Il faut couper les fibres pour ne pas risquer de fendre les bambous.

01:30 - Dégagement des résidus de nœuds et des nœuds non encore atteints.

01:55 - Remarquons que le mouvement du couteau-hache part toujours vers l'extérieur et non vers l'intérieur comme en Occident. Les extrémités des bambous sont taillées en pointe. Cette esthétique rappelle les cornes du buffle, animal totémique. Tout au long de la fabrication, les hauteurs sonores sont testées et comparées de manière empirique aux autres tubes en cours de fabrication grâce à leur excellente oreille relative. Ces populations ont la mémoire de valeur relative de l'échelle musicale. Il n'existe fort heureusement pas de notion culturelle d'oreille absolue.

02:30 - La réduction de la longueur du tube entraîne une montée vers l'aigu de la note.

02:37 - Des tubes prêts avec leur percuteur placé provisoirement à l'intérieur.

02:41 - Premier test collectif des tubes de taille intermédiaire sur un rythme traditionnel.

02:54 - Test des notes aiguës. Les musiciens hésitent dans ce jeu difficile du hoquet. Il n'y a pas d'occasion de répéter entre deux fêtes puisque ces instruments sont éphémères. 

03:13 - Commencement de la décoration, plusieurs techniques basiques mais ô combien efficaces. Même l'éphémère mérite d'être soigné.

03:51 - Si le couteau-hache est le compagnon des travaux de gros-œuvre, il permet aussi de tailler des objets de très petite taille en utilisant la texture fibreuse du bambou. 

04:33 - La couche superficielle du bambou est raclée et réduite en une “chevelure” qui créera une dynamique visuelle au cours du jeu.

05:41 - Même les percuteurs ont leur décoration ! La partie du bambou qui percutera le bambou est assouplie par de multiples fentes afin que le son ne soit pas trop dur. 

06:09 - À gauche, un bambou dit “pilonnant”, à côté un bambou “rythmique” au son éclaté, puis les bambous percutés ; le bambou percuté et le bambou percutant sont l'un et l'autre générateurs sonores. Après quelques hésitations, la courte séquence mélodico-rythmique se met en place. Les instruments sont prêts pour la fête. Voir vidéo suivante.

 

Jeu

Lieu & date : Laos. Province d’Oudom Xai. Village de Ban Na. Janvier 2006. 

Durée : 07:43. © Patrick Kersalé 2006-2024.

Cette séquence se situe dans la chronologie exacte de la précédente.

 


La séquence pas-à-pas

00:00 - Bien que chacun ait fait de son mieux, le jour commence à décliner et la lumière se raréfie pour notre tournage… Gongs à bosse et cymbales se mêlent aux bambous. Hommes et femmes jouent ensemble divers types d'instruments, ce qui n'est pas toujours le cas dans cette région du monde. 

00:50 - La caméra effectue un mouvement panoramique rapide pour montrer la simultanéité de jeu des différents ensembles (polymusique). 

01:00 - Chacun.e veut donner la meilleure image possible de sa culture. Le stress se lit sur le visage de ces femmes costumées et peu entraînées. Remettons-nous dans le contexte du Laos. Dans ce pays communiste, la culture est sous le strict contrôle du gouvernement. À tous les échelons de l'administration, il y a une représentation culturelle, depuis le ministère jusqu'au village, en passant par les échelons de la province et du district. Le moindre savoir-faire traditionnel est repéré et catégorisé. Les “artistes” et leur encadrement local sont parfois invité à l'un des échelons de l'administration ou bien à la télévision nationale pour donner des représentations. Voilà pourquoi ces femmes ont un costume qui n'est plus porté au quotidien. 

01:27 - Ces séquences ont été tournées avec deux caméras identiques, c'est pourquoi nous proposons ces deux fenêtres montrant deux scènes musicales simultanées sur le même champ festif. À gauche, le kaltong, à droite, la danse des bambous. 

01:49 - La danse des bambous est pratiquée par diverses ethnies de la région. Elle est très populaire parce que très ludique, tant pour les danseurs.euses que pour le public. Il convient de se concentrer afin de ne pas se faire emprisonner les chevilles dans les bambous, ce qui amuse beaucoup les spectateurs.

02:02 - Une jeune fille faillit puis s'arrête. 

02:14 - Le kaltong a enfin trouvé son rythme de croisière. On entend, par derrière, le son de la danse des bambous. Le jeu en hoquet est d'autant plus difficile qu'il faut faire abstraction de l'environnement sonore perturbant. Remarquez l'extrême concentration sur les visages. 

02:57 - Retour sur la danse des bambous. Remarquez la grâce de ces femmes qui battent des bras à la manière des ailes d'un oiseau. 

03:06 - Voici une nouvelle configuration des bambous et une autre chorégraphie pour franchir les obstacles.

03:42 - La jeune génération aime aussi démontrer son habileté. Cette danse est une sorte de passeport initiatique vis-à-vis de la communauté villageoise. La polymusique bat son plein. 

04:23 - Le kaltong part en procession autour de l'aire de la danse. 

06:08 - Le kaltong et les bambous de la danse sont synchrones. On quitte alors l'univers de la polymusique !

06:58 - Les danseur.euses sont désormais munis de “chevelures” de bambou qu'ils agitent au bout de leurs bras (ailes).

 

Carillon de bambou éclaté (Kreung - Cambodge)

Cette séquence présente à la fois la coupe des bambous en forêt, la réalisation d’un carillon de bambou éclaté et son jeu. Cet ensemble est en quelque sorte l’orchestre de gongs du pauvre. Il est d’ailleurs joué de manière similaire aux gongs de bronze et chaque tube porte le nom d’un gong.

Les Kreung vivent dans la région forestière du Ratanakiri, au nord-est du Cambodge. Comme toutes les populations de cette zone, ils jouent les gongs. Mais autrefois, les jeunes gens devaient préalablement s'initier au jeu des bambous avant de rejoindre la classe d'âge apte à frapper les gongs. C'est pourquoi nous avons demandé à ces hommes de fabriquer ce carillon afin d'immortalisé par l'image une pratique qui appartient désormais au passé.

 

Lieu & date : Cambodge. Vill. Kro Pou. 8 avril 2012.

Durée : 07:24. © Patrick Kersalé 2012-2024.


Bol tibétain (Népal)

Nous avons donner comme titre à ce chapitre : “Bol tibétain”. Sur le plan organologique, il s'agit d'une “cloche à battant externe”. Disons-le d'emblée, les “bols tibétains” n'existent pas. En revanche, leur business est florissant. Ce concept a été créé voici plusieurs décennies par un commerçant du quartier touristique de Thamel à Kathmandu. GeoZik l'a rencontré. Il possédait à l'époque (2012) un immense magasin et un entrepôt avec des bols fabriqués au Népal et d'autres collectés en Inde par ses équipes. Nous n'en dirons pas plus. 

Mireille Helffer, ethnomusicologue du CNRS a passé de nombreuses années à parcourir les monastères tibétains et a publié l'ouvrage de référence “Mchod-Rol” : Instruments de la musique tibétaine. Dans une communication personnelle, elle nous a affirmé n'avoir jamais constaté l'usage des bols à des fins sonores et encore moins thérapeutiques. Certes les bols de bronze existent en Asie aux mains des moines bouddhistes pour collecter leur nourriture. On les trouvent (trouvait) aussi dans les cuisines des familles qui avaient les moyens de se les offrir. Aujourd'hui, leur usage premier disparaît au profit des bols en aluminium ou autres matériaux bon marché. Les bols anciens font aujourd'hui l'objet d'un commerce international ou bien sont fondus pour réaliser d'autres objets. 

La fabrication à laquelle nous assistons dans cette vidéo est réalisée par des hommes d'origine pakistanaise travaillant dans des conditions difficiles. Il ne s'agit pas d'une fabrication “traditionnelle” par martèlement, mais la complexité du procédé manuel mérite la découverte. Nous n'avons pas pu filmer le polissage électrique final des bols car, à cette époque, les coupures de courant duraient de six à dix-huit heures par jour !

 

Lieu & date : Népal. Kathmandu. 2012.

Durée : 06:43. © Patrick Kersalé 2012-2024.


Guimbarde en bambou (Khmer - Cambodge)

L’usage de la guimbarde en bambou angkuoch (អង្កួច) a disparu au Cambodge. En Asie du Sud-Est, cet instrument était autrefois essentiellement utilisé dans les rituels de séduction entre garçons et filles, mais aujourd’hui le smartphone l'a supplanté !

GeoZik a rencontré le dernier fabricant khmer : M. Krak Chi.

M. Krak Chi, né en 1950, vit dans le village de Srah Srang, situé dans le parc archéologique d’Angkor, à deux pas du bassin éponyme et du temple de Banteay Kdei. Il est riziculteur, chef de son village et, à ses heures perdues, fabricant de guimbardes. Il a des souvenirs d'enfance de son père jouant de la guimbarde, le soir pour le plaisir. Il se souvient également que les enfants du village en achetaient aux fabricants d'instruments du village pour les revendre aux touristes visitant les temples, tout particulièrement le Ta Prohm voisin.

 

Organologie khmère

M. Krak Chi distingue quatre parties proprement nommées dans une guimbarde : la tête, la langue, les couvertures et la poignée. Les couvertures sont deux fines lamelles de bambou insérées (parfois collées) permettant d'épouser les contours de l'extrémité de la langue. Elles sont essentielles à la production sonore.

Dénomination franco-khmère des diverses parties de la guimbarde angkuoch.
Dénomination franco-khmère des diverses parties de la guimbarde angkuoch.

 

Fabrication

Cette vidéo offre tous les détails commentés par des sous-titrages de la fabrication d’une guimbarde en bambou. Elle est taillée dans de gros bambous poussant en bouquet ; l’épaisseur des chaumes est de l’ordre de 1 à 3 cm ou plus selon leur âge. On remarquera l’usage d’un nombre restreint d’outils : un couteau traditionnel khmer à manche long (kambet bantoh - កាំបិតបន្ទោះ) tenu sous l’aisselle, deux ciseaux à bois de largeurs différentes et un heurtoir, en l’occurrence une hache dont M. Krak Chi utilise la tête en guise de marteau. On remarquera la structure fibreuse du bambou qui permet ce travail de précision, à une épaisseur de fibre près.

 

Lieu & date : Cambodge. Vill. Srah Srang. 15 décembre 2017.

Durée : 08:21. © Patrick Kersalé 2017-2024.


Usage

Autrefois, les jeunes gens l’utilisait pour courtiser les jeunes filles. Krak Chi se souvient d'une vieille coutume qui consistait à mettre de la "cire de charme" sur la langue de l’instrument pour s'assurer de l’irrésistibilité des avances faites aux filles. Cette cire de charme, plus usitée aujourd’hui par les Khmers, est encore employée sur les guimbardes des minorités ethniques des confins forestiers et frontaliers du Cambodge, du Vietnam et du Laos. Il s’agit d’une charge de cire en forme de corne de buffle qui modifie la vitesse de vibration de la lame et, par conséquent, la hauteur du son de base. Krak Chi témoigne également de l’utilisation désuète de la guimbarde comme outil de “joute verbale/chantée” — mais sans paroles ! — chhlaey chhlang (ឆ្លើយឆ្លង).

 

Technique de jeu

Le principe du jeu de la guimbarde repose sur la variation de l'ouverture de la cavité buccale, comme si l'on parlait ou chantait, mais sans utiliser les cordes vocales. La langue de l'instrument les remplace. Lors du jeu d'une chanson par exemple, le joueur de guimbarde suit la mélodie et les paroles de mémoire et active la langue de l'instrument sur les mots ou syllabes. La variation de volume de la cavité buccale simule les voyelles.

 

De la riziculture à la facture de guimbardes

Krak Chi commença à s'intéresser à la fabrication des guimbardes au milieu des années 1990. Son jeune fils, Chi Chen, avait l'habitude d'en acheter à un célèbre fabricant, M. Mong Koeuy, dans le village voisin de Preah Dak, pour les revendre aux touristes. En mars 1998, lors de notre premier voyage au Cambodge, nous avons nous-même rencontré un jeune garçon handicapé, Lath Soy (25 ans à l’époque) qui fabriquait des guimbardes dans ce village ; il était un disciple de Mong Koeuy. Ces deux hommes ne sont aujourd’hui plus de ce monde.

En regardant Mong Koeuy fabriquer ces instruments, Krak Chi décida d'apprendre à son tour, motivé d'une part par la perspective de tirer un revenu modeste de leur vente et, d'autre part, par le désir de perpétuer la tradition. Aujourd'hui (2021), compte tenu de son âge et de ses activités de chef de village, Krak Chi consacre peu de temps à la fabrication des guimbardes. Il fabrique généralement entre 8h00 et 10h00 du matin. Le temps de fabrication est d’environ 50 minutes pour une personne très experte comme lui. Afin que se perpétue la tradition, il a enseigné la fabrication à ses fils et petits-fils.