Lithophones d'hier et d'aujourd'hui


Les lithophones se composent d'une pierre ou de morceaux de roche heurtés afin de produire des sons. C'est en quelque sorte l'ancêtre de la cloche. Il en existe divers types : roches inamovibles qui sonnent naturellement lorsqu'on les frappe, pierres brutes ou taillées suspendues seules ou en carillon, juxtaposées au sol ou sur un support… Leur rôle est probablement aussi varié qu'il en existe de types, du simple jeu enfantin au rituel le plus secret. Mais une chose est certaine, leur usage traditionnel se raréfie dans le monde.

 

Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé, 2003-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 29 septembre 2024. 


SOMMAIRE

Afrique

. Burkina Faso - Bobo - Lithophone initiatique

. Mali - Dogon - Lithophones à usages multiples

Asie

. Cambodge - Le lithophone du Musée National

. Cambodge - Le lithophone de Chau Srei Vibol

. Thaïlande - Lithophones historiques

Europe

. France - Lithophones paléolithiques


PISTES PÉDAGOGIQUES

  • Débat. Pourquoi, selon vous, l'usage des lithophones disparaît-il peu à peu du paysage sonore mondial ?
  • Travaux pratiques. Il existe, dans diverses régions du monde, des lithophones naturels (rochers, pierres sonores). Repérez des lieux près de chez vous, organisez un déplacement et improvisez un concert in situ.
  • Allez plus loin avec les Éditions Lugdivine.

Afrique

Burkina Faso - Bobo - Lithophone initiatique

Lithophone initiatique

Date & lieu : Janvier 2003 - Village de Dentoloma. Ethnie Bobo. Burkina Faso.

Durée : 01:06. © Patrick Kersalé 2003-2024.

Le tournage de cette séquence a été rendu possible car le village de l'ethnie Bobo où se trouve ce lithophone est désormais christianisé. Il était auparavant utilisé lors des initiations des jeunes garçons. En dehors de ces occasions, il était interdit de le jouer et même de s'en approcher.


Mali - Dogon - Lithophones à usages multiples

Lithophone à usage ludique et initiatique

Entre l'enfance et l'adolescence, les garçons du pays Dogon s'entraînent au jeu des tambours sur des lithophones “naturels”. Il s'agit de gros blocs détachés du rocher principal et demeurés-là de longue date. Aucun interdit ne frappe leur usage, comme c'est parfois le cas pour d'autres lithophones africains, notamment celui de Dentoloma présenté ci-avant. A contrario, les tambours sont des instruments sacrés et nul ne peut les frapper en dehors des cérémonies, et parfois même sans avoir fait un sacrifice préalable à l'attention de son esprit protecteur. Les lithophones sont donc une opportunité de jeu pour les jeunes Dogon.

 

Lithophone à usage ludique et initiatique

Date & lieu : Octobre 1998 - Village de Bongo. Dogon. Mali.

© Patrick Kersalé 1998-2024.

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Lithophone pour appeler la pluie

Il existe, chez les Dogon, un rituel permettant d’attirer la pluie. Pour cela, on utilise une pierre appelée ãdugæ (pierre de tonnerre) ou plus largement ãdugæ tibi (autel de la pluie) car la pierre n’est qu’un simple vecteur associé à un esprit protecteur appelé “fétiche” en langage courant. Selon la croyance dogon, ces pierres tombent avec la foudre. Il s'agit en fait de pierres taillées et polies par des civilisations antérieures, trouvées en brousse par les villageois et que l'on nomme céraunies. A l’origine, ces pierres devaient être emmanchées et utilisées comme hache.

La pierre est conservée dans la maison du faiseur de pluie, sous terre, et personne d'autre que lui-même et son fils aîné, l’héritier, ne doivent la voir, car elle perdrait son pouvoir, selon la tradition. Dès son plus jeune âge, l’héritier du pouvoir assiste à tous les rituels célébrés par son père afin de s'en imprégner.

Pendant la saison des pluies, le faiseur de pluie initie le rituel sur requête des villageois puis, à la fin des récoltes, ces derniers apportent du mil et un poulet au prêtre de l'autel de la pluie. En retour, celui-ci sacrifie le volatile et fait préparer de la bouillie de mil. Il fait couler le sang et verse une partie de la préparation sur le fétiche se trouvant près de la pierre ainsi que sur la terre recouvrant la pierre, en remerciement pour la pluie. Le mil n’ayant pas servi au sacrifice est conservé par le prêtre.

Au début de la prière, le prêtre frotte la pierre, intermédiaire entre lui et les entités spirituelles, avec un morceau de charbon ou d’écorce de caïlcédrat, afin de la purifier. Puis vient la prière. Le faiseur de pluie salue tout d’abord diverses les entités et demande à la pierre d’intervenir auprès d’elles pour faire tomber la pluie. Puis il remercie Dieu : « Grâce à toi, Ama, nous avons passé une bonne nuit ; fasse que nous passions maintenant une bonne journée ». Il salue de nouveau les diverses entités. Puis, s’adressant à ãdugæ tibi : « Si la tradition est avérée, montre-nous ton pouvoir ». Puis il fait des vœux pour les cultures tout en demandant la pluie. Il réclame aussi d’abondantes récoltes, meilleures que celles des autres et longue vie aux villageois ayant effectué les semailles. Il sollicite ensuite les mânes des ancêtres et l’exaucement de ses vœux. Il demande aussi la bonne santé. Il souhaite des récoltes tellement abondantes que les cultivateurs soient obligés de solliciter d’autres villageois pour les rentrer dans les greniers. Il demande de nouveau la bonne santé puis la célébration de mariages, des rencontres à ceux qui cherchent l’âme sœur, des enfants à ceux qui en désirent, d’être épargné des épidémies et des accidents de la vie. « Que Dieu exauce nos vœux ». Il souhaite que le bétail se reproduise. Puis il réitère plusieurs éléments déjà évoqués.

A la fin de la prière, le faiseur de pluie frappe rapidement la pierre, signifiant : « Dieu entendez-nous, exaucez notre prière ».

 

Prière pour la pluie, par Dinguibré Saye, reçue de son père, Méneyou Saye.

Date & lieu : Mali. Village de Tireli. 28 février 1996.

Durée : 05:44. © Patrick Kersalé 1996-2024.

Le tournage de cette séquence a été rendu possible car le village de l'ethnie Bobo où se trouve ce lithophone est désormais christianisé. Il était auparavant utilisé lors des initiations des jeunes garçons. En dehors de ces occasions, il était interdit de le jouer et même de s'en approcher.



Asie

Cambodge - Le lithophone du Musée National

Le Musée National du Cambodge est dépositaires de deux pierres lithophoniques acquises en 1921. L'une est en parfait état (Ka1732, en haut), l'autre brisée en trois parties (Ka1733) recollées. Elles ont fait l'objet d'une fiche d'inventaire dont voici quelques éléments : 

  • Matière : roche très dure, dense, de coloration gris-vert bleu, grain très fin. Roche volcanique probablement de nature basaltique
  • Provenance : Prei Kri, Anlong Reach, Kompong Chhnang
  • Date et style : période préhistorique
  • Dimensions de la pierre non brisée : 175 X 24 X 3,5 cm
  • Anciens inventaires : C.85  A.16.2 C.86  A.16.3.

Louis Malleret est le premier à décrire la pierre non brisée in Ouvrages circulaires en terre dans / Indochine méridionale, BEFEO Tome 59, fasc. 2, pages 428-429, planche 39 :  « La roche pénétrée de filonnets, de veinules et parfois de vacuoles est noirâtre et semble de nature basaltique. Elle sonne remarquablement bien. Il est fort possible que cette lame ait fait partie d'un instrument lithophone composé de plusieurs pierres de ce type. »

En 2010, nous avons pu étudier succinctement ces deux pierres et les enregistrer. Toutefois, nous n'avons pas retenu l'étude sonore de la pierre brisée et recollée. Ce qui est remarquable au premier abord, c'est la similarité de leur forme et les traces d'usure sur la tranche concave. C'est sans aucun doute un effritement lié à la percussion. Compte tenu de l'emplacement de l'usure, nous suggérons que ces deux pierres étaient suspendues horizontalement sur la tranche comme sur notre photo. Rien de permet de penser qu'elles purent être suspendues verticalement. Leur finesse semble interdire qu'elles pussent être posées à plat ; en effet, quiconque s'asseyant dessus l'eût brisée.

Ces deux pierres sont le fruit d'une retaille manuelle contrairement à la pierre lithophonique de Chau Srei Vibol présentée ci-après. Elles devaient être considérées comme des objets précieux. Si leur propriété était privative, l'usage devait en être collectif. Ces deux pierres jumelles (voire peut-être formant un couple ?) ne sont pas sans rappeler les tambours de bronze formant couple, les khong tha des Lawae du Laos, des Kavet ou des Brao du Cambodge. Nous ne pouvons pour l'heure rien affirmer quant à leur utilisation si ce n'est constater la similarité des sonorités dans une zone géographique où existe une grande continuité culturelle. Cependant, parmi les usages probables, on pourrait avancer sans trop spéculer, au regard des usages connus par l'ethnographie, qu'elles aient pu être utilisées comme outil de communication distante et/ou avec des entités spirituelles, les populations les possédant étant, en ces temps-là, animistes. Notons que la musique des gongs aujourd'hui encore pratiquée par les populations forestières des confins frontaliers du Cambodge, du Laos et du Vietnam jouent les gongs, un instrument éclaté, pour rendre hommage à leurs défunts et leurs entités spirituelles. Ces musiques doivent être considérées comme des offrandes au même titre que les offrandes matérielles (riz, bière de riz, viande de buffle…).

Les deux pierres permettaient de jouer deux notes de hauteurs différentes à l'instar des khong tha des Lawae, mais il n'est pas exclu que les diverses frappes que nous avons émises lors de notre enregistrement fussent utilisées. Ce qui étonne, à propos du jeu des khong tha des Lawae, c'est la richesse rythmique composée avec seulement deux notes ; le procédé de jeu compense la pauvreté mélodique. Nous ignorons beaucoup de choses du passé musical des peuples forestiers sus-mentionnés, mais il faut se rappeler qu'ils étaient détenteurs, voici quelques décennies encore, de textes anciens cantillés sur deux notes seulement, un procédé utilisable uniquement par des peuples ne parlant pas une langue tonale, ce qui est le cas des Khmers et des populations autochtones au Cambodge.

 

Lieu & date : Musée National du Cambodge. 2010. 

Durée : 01:24. © Patrick Kersalé 2010-2024.

Pierre référencée Ka1732. Selon l'endroit où l'on percute la pierre, la hauteur de la note fondamentale ainsi que la quantité d'harmoniques varient.


Cambodge - Le lithophone de Chau Srei Vibol

Le temple de Chau Srei Vibol a été bâti à la fin du XIe siècle. Sa douve est de même longueur que celle du célèbre temples d'Angkor Vat. Il n’a pas été restauré. Au sommet de la colline, où fut établi le temple, se trouve aujourd’hui un temple (vihara) bouddhiste moderne.

 

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Sur ce site, une curieuse pierre de couleur rosée est posée en terre sur la tranche, au nord de l’escalier Est qui conduit au sanctuaire. À ses côtés, quelques planches de bois délavées et des tôles éparses indiquent qu’un culte lui est rendu.

La pierre mesure un peu plus d’un mètre de long pour une épaisseur maximum d’une vingtaine de centimètres. Quant à sa hauteur, il est encore impossible de le dire puisque sa base est en partie enterrée. En haut de la pierre, au centre, un trou biconique démontre qu’elle a été percée en commençant par les deux côtés pour se rejoindre vers le milieu, un peu comme le tunnel sous la Manche ! Il semble, sur la partie visible de la pierre, que ce soit le seul usinage humain car la douceur des angles arrondis est probablement le fait d’une érosion hydraulique.

Un éclat, sur un côté, montre une structure interne très dense, homogène, de couleur gris foncé.

Cette pierre est sans aucun doute un lithophone. À notre connaissance, c’est le premier de ce type identifié sur le territoire cambodgien… une découverte de GeoZik. 

Il en existe plusieurs en Thaïlande, au Musée National de Bangkok et dans des musées provinciaux.

Cette pierre présente des traces anciennes de percussion, recouvertes par la même pellicule rosée qui caractérise l’ensemble.

Originellement, ce lithophone était suspendu. S’il était en place à l’époque angkorienne, il a été utilisé comme outil de communication sonore, soit entre les personnes humaines, soit pour éveiller les divinités avant que les dévots ne montent l’escalier. De telles pratiques existent encore chez les Hindous, avec les cloches. Au Viêt Nam et en Chine, des lithophones sont encore en activité dans les temples et monastères bouddhistes.


Thaïlande - Lithophones historiques

En Thaïlande, plusieurs lithophones ont été suspendus à des portiques dans les musées archéologiques de la capitale et des provinces. Certains bénéficient d’un cartel informatif. La plupart sont brisés. Toutefois on ne peut attester si leur état est originel ou dû à leur histoire.

 

Lieu & date : Thaïlande. 2018. 

Durée : 00:46. © Patrick Kersalé 2018-2024.

Pierre référencée Ka1732. Selon l'endroit où l'on percute la pierre, la hauteur de la note fondamentale ainsi que la quantité d'harmoniques varient.



Europe

France - Lithophones paléolithiques

Par Tinaig Clodoré-Tissot


Lieu & date : France. 2010.

Durée : 03:42. © Patrick Kersalé 2010-2024.

Tinaig Clodoré-Tissot nous fait découvrir des lames de silex qui ont potentiellement pu servir à jouer de la musique. Elle évoque également les draperies de calcites percutées au Paléolithique.