La guimbarde en Asie


La guimbarde, instrument fascinant et méconnu, occupe une place unique dans le paysage musical de l'Asie du Sud-Est. Cet idiophone, composé d'une lame vibrante enchâssée dans un cadre, utilise la bouche comme caisse de résonance pour produire des sons riches et variés. Bien plus qu'un simple objet musical, la guimbarde revêt une importance culturelle et sociale significative dans de nombreuses communautés de la région.

Ce PAE propose un voyage à travers l'Asie du Sud-Est et du Sud, explorant les différentes formes et usages de la guimbarde chez divers groupes ethniques. De l'Inde au Viêt Nam, en passant par le Cambodge et le Laos, nous découvrirons comment cet instrument ancestral a joué un rôle crucial dans la vie quotidienne des peuples de ces régions. Nous examinerons également les techniques de fabrication, les méthodes de jeu et les défis auxquels fait face cet héritage culturel à l'ère moderne.

 

 Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 1999-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 16 octobre 2024.


SOMMAIRE

PISTES PÉDAGOGIQUES

  • Découverte culturelle et musicale. Organiser une séance d'écoute de différents enregistrements de guimbardes d'Asie. Identifier les similitudes et différences sonores.
  • Atelier de jeu. Jouez des mélodie ou des chansons connues et tenter de les découvrir.
  • Réflexion et analyse. Débattre de l'impact de la modernisation sur les traditions musicales, en prenant l'exemple de la guimbarde supplantée par le smartphone dans certaines communautés.
  • Analyser les liens entre musique et communication non-verbale, en s'appuyant sur l'utilisation de la guimbarde dans les rituels de séduction.
  • Allez plus loin avec les Éditions Lugdivine.

Introduction

La guimbarde est un idiophone composé d’une lame vibrant à l’intérieur d’un cadre posé devant la bouche, laquelle fait office de résonateur. La lame est mue soit directement par la main, soit par l’intermédiaire d’une ficelle.

L’organologie distingue deux types de guimbardes : idioglotte et hétéroglotte. Dans le premier type, le cadre et la lame sont fabriqués dans une seule et même pièce de matériau. Dans le second, la lame est rapportée sur le cadre. Les matériaux constitutifs sont divers : fer, acier, laiton, bambou…

Nous qualifions le jeu de la guimbarde de “langage transposé”. Il s'agit en effet d'une forme instrumentalisée du langage parlé, puisqu'est visée la reproduction de tout ou partie de ses composantes : longueur des syllabes, intensité emphatique et statut phonatoire des voyelles (aperture, position), tonalité, durée (rythme), dynamique et timbre.


Cambodge - Khmer - Guimbarde angkuoch en bambou

Généralités. L'utilisation de la guimbarde en bambou angkuoch អង្កួច est devenue extrêmement rare au Cambodge. Autrefois, cet instrument était principalement employé dans les rituels de séduction entre jeunes hommes et jeunes femmes au sud-est asiatique. Cependant, de nos jours, il a été largement supplanté par le smartphone.

GeoZik a fait la rencontre du dernier artisan khmer, M. Krak Chi.

Né en 1950, M. Krak Chi réside dans le village de Srah Srang, situé au cœur du parc archéologique d’Angkor, à proximité du bassin éponyme et du temple de Banteay Kdei. En plus d'être riziculteur et chef de village, il consacre ses moments libres à la fabrication de guimbardes. Ses souvenirs d'enfance sont imprégnés des mélodies de son père jouant de la guimbarde, notamment lors des soirées de détente. Il se rappelle également que les enfants du village achetaient ces instruments aux artisans locaux pour les revendre aux visiteurs dans les temples, en particulier à proximité du Ta Prohm voisin.

 

Organologie khmère. Krak Chi distingue quatre parties proprement nommées dans une guimbarde : la tête, la langue, les couvertures et la poignée. Les couvertures sont deux fines lamelles de bambou insérées (parfois collées) permettant d'épouser les contours de l'extrémité de la langue. Elles sont essentielles à la production sonore.

 

Usage. Autrefois, les jeunes gens l’utilisait pour courtiser les jeunes filles. Krak Chi se souvient d'une vieille coutume qui consistait à mettre de la "cire de charme" sur la langue de l’instrument pour s'assurer de l’irrésistibilité des avances faites aux filles. Cette cire de charme, plus usitée aujourd’hui par les Khmers, est encore employée chez sur les guimbardes des minorités ethniques des confins forestiers et frontaliers du Cambodge, du Viêt nam et du Laos. Il s’agit d’une charge de cire en forme de corne de buffle qui modifie la vitesse de vibration de la lame et, par conséquent, la hauteur du son de base.

Krak Chi témoigne également de l’utilisation désuète de la guimbarde comme outil de “joute verbale/chantée” — mais sans paroles ! — chhlaey chhlang ឆ្លើយឆ្លង.

 

Technique de jeu. Le principe du jeu de la guimbarde repose sur la variation de l'ouverture de la cavité buccale, comme si l'on parlait ou chantait, mais sans utiliser les cordes vocales. La langue de l'instrument les remplace. Lors de l'interprétation d'une chanson par exemple, le joueur de guimbarde suit la mélodie et les paroles de mémoire, et active la langue de l'instrument sur les mots ou syllabes. La variation de volume de la cavité buccale simule les voyelles.

 

De la riziculture à la facture de guimbardes. Krak Chi commença à s'intéresser à la fabrication des guimbardes au milieu des années 1990. Son jeune fils, Chi Chen, avait l'habitude d'en acheter à un célèbre fabricant, M. Mong Koeuy, dans le village voisin de Preah Dak, pour les revendre aux touristes. En mars 1998, lors de mon (Patrick Kersalé) premier voyage au Cambodge, j'ai moi-même rencontré un jeune garçon handicapé, Lath Soy (25 ans à l’époque) qui fabriquait des guimbardes dans ce village ; il était un disciple de Mong Koeuy. Ces deux hommes ne sont aujourd’hui plus de ce monde.

En regardant Mong Koeuy fabriquer ses instruments, Krak Chi décida d'apprendre à son tour, motivé d'une part par la perspective de tirer un revenu modeste de leur vente et, d'autre part, par le désir de perpétuer la tradition. Aujourd'hui (2021), compte tenu de son âge et de ses activités de chef de village, Krak Chi consacre peu de temps à la fabrication des guimbardes. Il y travaille généralement entre 8h00 et 10h00 du matin. Le temps de fabrication est d’environ 50 minutes pour une personne très experte comme lui. Afin de perpétuer la tradition, il a enseigné la fabrication à ses fils et petits-fils.

 

Fabrication. Cette vidéo offre tous les détails de la fabrication d’une guimbarde en bambou. Elle est taillée dans de gros bambous poussant en bouquet ; l’épaisseur des chaumes est de l’ordre de 1 à 3 cm ou plus selon leur âge. On remarquera l’usage d’un nombre restreint d’outils : un couteau traditionnel khmer à manche long (kambet bantoh - កាំបិតបន្ទោះ) tenu sous l’aisselle, deux ciseaux à bois de largeurs différentes et un heurtoir, en l’occurrence une hache dont Krak Chi utilise la tête en guise de marteau. On observera aussi la structure fibreuse du bambou qui permet ce travail de précision, à une épaisseur de fibre près.

 

Lieu & date : Cambodge. Vill. Srah Srang. 15 décembre 2017.

Durée : 08:21. © Patrick Kersalé 2017-2024.



Cambodge - Khmer - guimbarde angkuoch en métal (bientôt)

Lieu & date : XXX

Durée : 00:00. © Patrick Kersalé 2022-2024.



Chez les montagnards du Cambodge, Laos, Viêt Nam

Généralités. Les ethnies minoritaires peuplant les hauts-plateaux des confins frontaliers du Cambodge,  du Laos et du Viêt Nam, partagent un patrimoine commun : celui des gongs et de la guimbarde. Si les ensembles de gongs demeurent vivant, la guimbarde est quant à elle en déshérence. Afin d'illustrer cet instrument emblématique de leur histoire passée, nous publions ici deux vidéos tournées chez les Oy du Laos et les Êđê du Viêt Nam.

L'instrument est fabriqué dans du bambou de gros calibre. Sa longeur est comprise entre 250 et 300 mm et sa largeur 12 et 15 mm.

Le nom des instrument varie selon les régions et les ethnies : röding (peuple Jörai - Viêt Nam), gôč (peuple Êđê - Viêt Nam), gueč (Mnong - Viêt Nam), đing klia (Mnong Hlam)…

Jeu. Le joueur saisit d’une main la partie caudale de l’instrument, place la lame vibrante devant la bouche et la fait vibrer de l’autre main. Le musicien fait varier le volume de la cavité buccale afin de simuler les mots d’une chanson ou de suivre mentalement une ligne mélodique. La languette vibrante est parfois surmontée d’une petite charge de cire — généralement en forme de corne de buffle, animal totémique de la plupart des peuples utilisant cette guimbarde — afin de modifier sa vitesse de vibration, donc la hauteur de la note.


Usage : La guimbarde est utilisée pour “ chanter à mots couverts ”. Cette narration confidentielle sied parfaitement à la cour d’amour et les jeunes gens ne manquaient pas de l’utiliser pour courtiser les jeunes filles. Aujourd'hui, le Smartphone supplante cette pratique. Chez les Êđê du Viêt Nam, elle était autrefois jouée lorsque l’on achevait le faîte du toit lors de la construction d’une maison, afin d’adresser des prières aux esprits. Certaines personnes interprètent encore des chants à caractère bucolique.

 

Laos - Oy - Guimbarde guat

Les Oy vivent dans des maisons sur pilotis qui, autrefois, lorsqu’ils vivaient dans la forêt, leur permettaient de se préserver des animaux sauvages (tigres, panthères…). L’animal totem de cette population est le buffle, symbolisé au faîte des maisons. 

Le costume de ce musicien n’est plus porté au quotidien. Il le revêt lors des manifestations folkloriques organisées par le gouvernement qui contrôle strictement la culture. 

Date et lieu : Mars 1999. Village de Ban Lainyao Tai. Prov. d’Attapeu (Laos).

Durée : 00:54. Interprète : Kham Pheng. © P. Kersalé 1999-2024.


 

Viêt Nam - Êđê - Guimbarde gôč

Le gôč est la guimbarde en bambou des Êđê, une ethnie établie sur les hauts-plateaux du centre du Viêt Nam. La languette vibrante est surmontée d’une petite charge de cire afin de modifier sa vitesse de vibration, donc la hauteur de la note. Elle est utilisée pour “chanter à mots couverts”. Saisie avec la main gauche, elle est placée devant la bouche tandis que la main droite fait vibrer la languette mobile. Le musicien fait varier le volume de la cavité buccale afin de simuler les mots de la chanson. Cette narration confidentielle sied parfaitement à la cour d’amour et les jeunes gens ne manquent pas de l’utiliser pour courtiser les jeunes filles. On interprète également des chants à caractère bucolique. Elle était également jouée autrefois lorsque l’on achevait le faîte du toit lors de la construction d’une maison, afin de s’adresser aux Esprits.

Cette fabrication a été organisée pour notre tournage. Ama Y-Nu n'avait plus fabriqué de guimbarde depuis des années. Si l'outil semble disproportionné par rapport à l'objet confectionné, il n'en est rien pour lui et les membres de son ethnie. En effet, avec ce couteau, il est possible de construire une maison ou tailler un cure-dents !

Fabricant : Ama Y-Nu.

Lieu & date : Viêt Nam. Vill. Buôn Ako Dhong. Mars 2002.

Durée : 08:00. © Patrick Kersalé 2002-2024.



Chine, Laos, Thaïlande, Viêt Nam - Hmong - Guimbarde ncas

Distribution géographique. Sud de la Chine, nord du Viêt Nam, de la Thaïlande et du Laos.

 

Description. Guimbarde usinée dans une fine feuille de laiton. Long. 100 mm. Larg. 10 mm. Quand elle est inutilisée, elle est rangée dans un étui de bambou (lub raj ncas).

 

Usage. Comme toutes les guimbardes d'Asie du Sud-Est, le ncas des Hmong (prononcer ntcha) est un instrument “qui parle ”. On reproduit, par un jeu de variation du volume de la cavité buccale, le ton et le timbre de chaque mot. La guimbarde est jouée tant par les garçons que par les filles ; elle leur permet d’exprimer mutuellement leurs sentiments.

 

Exemple d'usage. Exemple de scène où la guimbarde tient un rôle : « Après que le jeune garçon a découvert où, à l’intérieur de sa maison, dort la jeune fille qu’il désire courtiser, il s’en approche, de nuit, lorsque toute la famille est endormie. Il emporte sous son bras une natte enroulée ou une couverture. Heureusement pour les jeunes amants, les planches constituant les murs des maisons hmong ne sont pas jointives ; elles laissent même apparaître d’importants espaces. Si le garçon parvient à convaincre la jeune fille, ils s’agenouillent chacun d’un côté du mur et entament la conversation. Le garçon tente alors de la persuader de quitter la maison, soit avec des mots, soit avec la guimbarde, par un jeu de transposition des phonèmes et des tonalités de la langue. Si la jeune fille accepte, elle devra rentrer au premier chant du coq afin que personne ne puisse s’apercevoir de son escapade... »

 

À propos de la séquence. Cette séquence a été organisée pour les besoins du tournage, chez les Hmong Noirs. Cette femme, comme toutes les femmes hmong de la région, porte ce costume et cette coiffure au quotidien. La coiffure est constituée de fils de laine rouge recouvrant à la fois ses propres cheveux et de longues mèches issues de coupes antérieures, nouées aux cheveux vivants. L’interprète tient dans sa main gauche le tube de bambou dans lequel elle range la guimbarde. Au moment de notre tournage, comme elle n'a plus l'âge de jouer la guimbarde en situation réelle, l'entourage riait sous cape, d'où l'ambiance perceptible dans l'enregistrement !

 

Lieu & date : Viêt Nam. Province de Lai Châu. District de Sìn Hồ. Commune de Xã Hồng Thu. Novembre 2005. Durée : 02:31. © Patrick Kersalé 2005-2024.



Indonésie - Guimbarde genggong

Distribution géographique. Le terme genggong se retrouve dans plusieurs parties de l’Indonésie et en Malaysie.

 

Dénominationsduri, druri bewe (Nias), ego, genggo, robe (Flores), karinding (Java occidental), popo (Sumatra)…

 

Description. Guimbarde en bambou mue par une ficelle.

 

Jeu. Le joueur saisit d’une main la partie caudale de l’instrument, place la lame vibrante devant la bouche et tire énergiquement la ficelle selon le rythme de la pièce à interpréter.

 

Usage. À Bali, elle est jouée dans la formation dénommée Gamelan Genggongan.

 

À propos de la séquence. Le talentueux Made Sumendra, habituellement membre d'un ensemble orchestral, offre ici une impressionnante performance solo de genggong. L'accessoire rouge placé devant l'instrument sert à la fois d'amplificateur sonore pour le musicien lui-même lors des représentations collectives et de cache-bouche de courtoisie.

 

Date et lieu : Novembre 2005. Ville d’Ubud (Bali – Indonésie).

Interprète : Made Sumendra. Durée : 00:51. © P. Kersalé 2005-2024.



Inde - Rajasthan - Guimbarde morchang

Généralités. La guimbarde morchang मोरचंग se compose d'un anneau métallique en forme de fer à cheval avec deux fourches parallèles formant un cadre. La languette vibrante, elle aussi en fer, est fixée à l'anneau à une extrémité ; elle est pliée à l'extrémité libre dans un plan perpendiculaire à l'anneau afin d'être frappée et mise en vibration. 

 

Distribution géographique. On la rencontre en Inde mais aussi au Pakistan et au Népal.

 

Dénominations. Son nom varie selon les régions : morcang, murcang, murchang, mucang, muncang, mursing

 

Fabrication. Le morchang est fabriqué à l'unité par des forgerons.

 

Usage. Autrefois jouée par les bergers, elle est aujourd’hui tombée aux mains des musiciens professionnels et des passionnés du monde entier.

 


À propos de la séquence. Les deux musiciens présentés dans cette vidéo sont des professionnels qui se produisent régulièrement lors de rituels religieux, de foires aux bestiaux, de pèlerinages et de mariages, où il est habituel de dépenser sans compter. Au Rajasthan, le nombre de célébrations est si élevé qu'un vieux proverbe indien affirme que les Rajasthanis en célèbrent neuf chaque semaine ! Et lorsque ces artistes ne sont pas engagés dans des cérémonies ou des fêtes traditionnelles, ils parcourent les sites touristiques et participent à des festivals nationaux. S'ils se distinguent par leur talent, ils peuvent même recevoir des invitations à se produire à l'étranger.

 

Musiciens : Mohosin Khan (morchang), Yogi Raj Rana (dholak).

Lieu & date : Union indienne, Rajasthan, vill. Jaipur. Février 2006.

Durée : 00:58. © Patrick Kersalé 2006-2024.