Parole d'ancêtre peul


Les Peul constituent un peuple d’éleveurs de bétail (17 millions de personnes dont 8 millions d’éleveurs) originellement nomade, mais aujourd’hui fortement sédentarisé. Il se déploie sur toute l’ouest africain (de l’Atlantique au lac Tchad). Bien qu’ayant largement contribué à la diffusion de l’Islam dans cette aire géographique, ils ont conservé nombre de rites liés au culte des esprits. La littérature orale proposée dans ce PAE a été collectée par GEOZIK au début des années 2000 dans la région de Tombouctou au Mali. Compte tenu du caractère nomade des Peul, ces contes peuvent être retrouvés en tout point du territoire parcouru par leurs troupeaux.

 

© Patrick Kersalé et collecteurs (voir chaque texte) 2000-2024. Dernière mise à jour : 11 septembre 2024.


SOMMAIRE

Contes

. La lionne et le lièvre

. La méchante marâtre

. Yéyande et le monstre

. Pour les yeux d'une belle

. L'hyène, le singe et le lièvre

. Le lièvre et l'hyène s'interrogent

. Le lièvre, l'éléphant et l'hippopotame

. L'orpheline et sa marâtre


PISTES PÉDAGOGIQUES

  • Expression vocale. Comme il s'agit de littérature orale, chaque version de ces contes peut être librement adaptée pour être jouée en public.
  • Substitution. Pourquoi substitue-t-on des animaux aux Hommes dans les contes ? Dégagez les qualités et défauts de chacun des animaux acteurs de ces contes.
  • Allez plus loin avec les Éditions Lugdivine.

Contes

La lionne et le lièvre

Village peul vers Gorom-Gorom. Burkina Faso. Novembre 1994. © Patrick Kersalé 1994-2024.
Village peul vers Gorom-Gorom. Burkina Faso. Novembre 1994. © Patrick Kersalé 1994-2024.

Un jour, une lionne donna le jour à plus d'enfants qu'elle n'en avait jamais espéré. Pour nourrir ses petits, elle fit appel au lièvre afin qu'il répartisse la nourriture qu'elle rapportait. Ainsi, chaque jour, la lionne partait aux confins de la brousse pour nourrir ses lionceaux. Comme elle n'avait plus de place dans sa tanière, elle passait son temps sous les buissons et laissaient ses petits aux bons soins du lièvre. Or, la lionne ne se doutait pas que le lièvre se gavait de tout ce que ses petits auraient aimé se repaître dans leur tanière.

Un jour, souhaitant constater de ses propres yeux  de la prospérité de ses enfants, elle demanda au lièvre de les sortir un à un de la tanière. Au fur et à mesure qu’elle voyait les lionceaux extirpés de leur antre, la lionne s'enflammait d'une redoutable colère. Elle attendait avec impatience le tour du lièvre pour le dévorer et lui faire payer sa ruse. Une fois tous les lionceaux dehors, la lionne somma le lièvre de sortir.

« Attrape mes sandales ! » lança le lièvre qui ne manquait jamais de répartie. Puis, tour à tour, il lui envoya sa chéchia* et son pantalon. Il se réfugia ensuite dans la poche de son grand boubou et se jeta hors de la tanière. La lionne, brûlant d'impatience, s'empara du vêtement et le jeta au loin. Tandis qu'elle regardait au fond de la tanière, le lièvre sortit du boubou et s'enfuit en se moquant. La reine de la brousse s'élança dans une course effrénée derrière le lièvre qui, en quelques bonds, s'enfouit dans la végétation, laissant la lionne parcourir la Terre entière à sa recherche.

 

« Depuis ce jour, ni la lionne, ni le lion ne chasse plus le lièvre ». 

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Source : Amadou Coulibaly (Mali). Adaptation française : Patrick Kersalé. © Amadou Coulibaly, Patrick Kersalé 2000-2024.

 

La méchante marâtre

Un jour, dans un lointain hameau, alors que les murs étiraient leur ombre sur le sol, la mère de Souleyman mourut. Commença alors pour le jeune garçon un jeu de cache-cache avec les intentions malveillantes de la nouvelle épouse de son père.

Le jeune Souleyman était un berger. Il avait pour fidèle compagnon un jeune lévrier. Mais depuis le décès de sa mère, le petit chien ne l’accompagnait plus au pâturage, restant dans la cour à observer tout ce qui s’y déroulait. La méchante marâtre nourrissait la farouche intention de nuire au jeune orphelin. Chaque jour, elle empoisonnait un récipient de nourriture, mais chaque jour, lorsque le soleil regagnait sa tanière, le petit chien courait à la rencontre de son jeune maître et lui confiait ce qui s’était passé dans la journée. Il lui criait : 

« Ô Souleyman, attends que je te dise

Si tu rentres aujourd’hui, Souleyman

Ne touche pas au lait qui dort dans la calebasse, Souleyman

Tu mangeras seulement le plat de gâteaux, Souleyman

Tu épargneras le plat de riz, Souleyman ».

Et vice versa selon les jours. Ainsi les jours succédèrent aux jours, les saisons aux saisons.

Mais vint le jour où la méchante marâtre, impuissante, alla trouver la vieille sorcière du village et lui raconta son incapacité à faire disparaître le petit orphelin. 

La mégère lui conseilla alors de tuer le petit chien. La méchante marâtre s’en retourna dans sa cour et le fit abattre. Mais le même jour, son unique garçon, parti dans de lointains territoires depuis de nombreuses années, revint de son aventure. Lorsqu’il pénétra dans la demeure, sa mère était absente. Il se désaltéra de lait frais, mangea quelques tartines, puis s’affaissa sur le lit en bambou avant de rendre l’âme sous l’effet du poison.

Souleyman l’orphelin, qui revenait ce jour-là sans avoir vu son petit chien, tarda à rentrer. La méchante marâtre revenue de ses courses, trouva son unique enfant étendu mort auprès de ses plats empoisonnés et tomba en syncope.

 

« Ainsi, la flèche empoisonnée venait de piéger l’arc qui l’avait tirée. »

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Source Seydou M’Barakou Touré (Tombouctou, Mali). Adaptation française : Patrick Kersalé. © Seydou M’Barakou Touré, Patrick Kersalé 2000-2024.

Danse des bergers (segalare), interprétée pendant l'hivernage pour encourager les éleveurs.

Date : Octobre 1993. Durée : 03:10. © Patrick Kersalé 1993-2022.


Yéyande et le monstre

Il était une fois, une femme bonne ménagère et bonne mère qui, à l’approche de la ménopause, n’avait toujours pas eu de garçon. Dans la société africaine traditionnelle, le garçon était jadis l’enfant le mieux traité, et les mères n’étaient heureuses que lorsqu’elles mettaient au monde un garçon, symbole de continuité de la famille, successeur des rois et des patriarches, défenseur et gardien de l’héritage des ancêtres légué à leur descendance. Malgré ses prières, La femme demeura sans garçon. Elle était pourtant allée trouver le marabout, le féticheur, le sorcier et le guérisseur, mais s’en était retournée sans espoir de donner un garçon à son mari auquel elle souhaitait tout offrir.

Un jour, elle alla trouver le prédicateur du village, chef de file de la famille de génération en génération, qui prophétisait l’avenir du village et de la tribu. Celui-ci consulta les signes et comprit que la femme possédait une petite chance d’avoir un garçon, chance qu’elle devrait disputer avec un être étrange n’appartenant pas au monde des mortels. Il lui conseilla de patienter quelques temps car il n’était pas impossible qu’elle ait un garçon très bientôt. Les jours succédèrent aux nuits, les saisons aux lunes et un de ces matins comme tous ceux que dame nature ici-bas a connu, la bonne dame se rendit à la mare pour faire la lessive. Elle était seule dans cette mare aux eaux dormantes. Personne ne passa par-là, pas même le berger, car l’heure d’abreuver les bêtes était encore lointaine. Soudain, les eaux s’agitèrent violemment, les branches des arbres craquèrent dans un bruit sourd et le sol trembla sous ses pieds. C'est alors qu'une monstrueuse créature à sept têtes sortit des eaux et s’adressa à la femme :

— Je suis le monstre des eaux et des cieux, le souffle du volcan, le roi d’un royaume sans héritier. N’ai pas peur. Je vais te demander de coopérer. Sors de l’eau et plonge y seulement tes doigts. Je t’alimenterai de mon énergie et, durant les neuf mois qui suivront, tu porteras en ton sein un garçon que tu le nommeras Yéyande. À défaut, tu éveilleras le démon qui sommeille dans mes entrailles.

Ainsi dit, ainsi fut fait, la prophétie devint réalité. La bonne dame mit au monde, le septième jour de la lune, après les neuf mois prédits, un beau petit garçon que le village accueillit avec joie et tapage, et la nature avec générosité et abondance. Le petit garçon fut nommé Yéyande à la demande de sa mère qui, malgré les interrogations sur l’origine de ce nom peu commun, sinon inexistant dans les us de la tribu, garda son secret.

Les années passèrent. On compta les saisons et Yéyande, qui conduisait encore les veaux aux pâturages, commença à s’occuper des bœufs dans les prés. Sa mère lui avait toujours conseillé de ne jamais s’approcher de la mare au monstre.

Yéyande était maintenant devenu un berger confirmé et de surcroît, rien ne lui manquait de l’arsenal d’un bon guerrier. 

Mais comme tous les bergers faisaient abreuver leurs troupeaux à la mare, les gens s’étonnèrent très tôt de ne jamais y croiser le vaillant garçon.

Un jour, à l’heure où les troupeaux descendaient en colonne vers la mare, tout le monde fut effrayé par les eaux qui s’agitaient de manière inhabituelle. On pouvait y observer les sept têtes du monstre demandant l’assistance du berger :

— Y a-t-il parmi vous Yéyande ?

Tour à tour les bergers déclinèrent leur identité. Certains se justifiaient :

— Non je ne suis pas Yéyande. Ton brave et vaillant berger ne vient pas ici, on ne sait trop pourquoi alors qu’on le dit le plus courageux, le plus fier et le plus beau. Si j’étais Yéyande, je défierais la peur et la méfiance.

Le soir venu, lorsque les troupeaux regagnèrent les enclos, les bergers ne manquèrent pas de blesser l’orgueil de Yéyande. On lui fit savoir qu’à la mare, un phénomène étrange effraie sans cesse les troupeaux :

— À la mare, un être à sept têtes te réclame et semble très impatient de te rencontrer. À moins que tu ne sois un lâche, Yéyande, tu pourras aller lui dire de cesser de hanter notre abreuvoir.

Yéyande, blessé dans son amour propre, sembla comprendre ce que sa mère lui cachait, car dans le monde ici-bas, les mauvaises langues ne peuvent se taire longtemps. Il rentra tard à la maison et se coucha comme d’habitude devant l’enclos. Mais ce soir-là, il ne trait aucune vache, à l’exception de celle qu’il ne trait jamais, laissant toujours le lait à son veau préféré, et prit sept gorgées de lait. L’idée de se rendre à la mare lui ôta le sommeil toute la nuit. Sa mère comprit alors que quelque chose allait se passer. Toute la nuit, elle pria et implora, demandant sept cent soixante-dix-sept fois l’aide des sept génies des eaux, des sept génies des bois et des sept génies protecteurs de la tribu.

Tandis le soleil renvoyait les ombres des arbres vers le levant, Yéyande était à la mare avec ses sept cent bovins, ses soixante-dix-sept lévriers et ses sept coutelas et épées. Le monstre des eaux vint submerger ses têtes sous le museau des animaux qui s’effrayèrent et rebroussèrent chemin vers le village. Leurs regards se croisèrent et la présentation fut faite d’elle-même. Les sept têtes du monstre se jetèrent sur notre héros. Ne demeuraient que grincement de lames et aboiements de chiens qui attrapaient leur proie et se régalaient de la bonne chair. Mais Yéyande eut raison du monstre qui interdisait l’abreuvoir aux bergers et envoya dire à sa mère que le fils de la femme n’appartiendrait jamais plus à une autre créature, fut-elle un monstre.

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Source Seydou M’Barakou Touré (Tombouctou, Mali). Adaptation française : Patrick Kersalé. © Seydou M’Barakou Touré, Patrick Kersalé 2000-2024.

 


Pour les yeux d'une belle

Il était une fois un village peul qui vivait dans la hantise d’un lion que toutes les battues avaient laissé sauf. L’animal était furieux et dévastateur. De nombreux matins, on avait découvert les carnages faisant suite à ses incursions nocturnes dans les enclos, mais les leçons tirées des assauts lancés contre le fauve effrayaient de plus en plus les éventuels aventuriers.

Dans ce village, vivait un vieux berger nommé Bokary qui, en plus de sa célébrité pour le nombre des bêtes qu’il possédait, avait une très jolie fille. Elle était la plus belle et la plus convoitée du village. Trois jeunes bergers la courtisaient sans relâche.

Un matin, alors que le village dormait encore, le fauve pénétra dans l’enclos du vieux Bokary. Alerté par le vacarme, il se leva et trouva son plus beau taureau gisant dans le sang parmi d’autres bœufs. Le vieil homme se savait que faire et tout le monde se demandait quand prendrait fin ce malheur. Le même jour, les trois prétendants de la belle jeune fille se lancèrent le défi de rapporter le tête du fauve. Le héros pourrait alors se targuer de mériter le belle. Chacun fit ses préparatifs et se lança sur les traces du fauve. 

Les chevaux des trois prétendants martelaient le sol, ne laissant derrière eux que poussière. Bientôt, ils découvrirent la tanière du lion, mais lorsque celui-ci se mit à rugir, les chevaux effrayés laissèrent tomber les trois cavaliers face au fauve et à la terreur. Ils s’en retournèrent seuls au village. Le premier, tremblant comme une feuille de palmier sous l'orage, se mit à gémir, se plaignant de maux de tête. Le second se courba et se lamenta en se plaignant de coliques. Le troisième, le plus courageux, banda son arc et lança à ses deux compagnons :

Femmes peules. Vers Gorom-Gorom. Burkina Faso. © Patrick Kersalé 2000-2024.
Femmes peules. Vers Gorom-Gorom. Burkina Faso. © Patrick Kersalé 2000-2024.

 

— Plutôt mourir que fuir. Seuls les hommes vaillants sont reconnus par la mémoire collective !

Avant que le fauve n’ait eu le temps de prendre ses appuis, le jeune homme lui vida son carquois dans la chair. L’animal s’écroula.

 

On dédia au héros l’hymne du sang-froid et celui-ci se maria avec la belle.

Danse des chasseurs. Encouragement des chasseurs qui partent en brousse.

Date : Octobre 1993. Durée : 07:09. © Patrick Kersalé 1993-2024.


L'hyène, le singe et le lièvre

Un jour, l'hyène se promenait en brousse quand elle fut gagnée par la faim et la soif. Elle arriva auprès d'un puits salvateur et s'y jeta. Elle but plus qu'à satiété, remplissant totalement son estomac. Au moment de sortir, ses pensées s'emmêlèrent et, malgré tous ses efforts, elle resta au fond du trou. Des heures durant, elle cria à qui voudrait bien l'entendre, quand passa le singe. Surpris par ces cris frénétiques, il s'approcha. L'hyène, qui aperçut son ombre, le supplia de la sortir de ce mauvais pas. Le singe lui dit alors :

– Mais comment pourrais-je te sortir d'ici ?

– Laisse pendre ta queue et je grimperai après, répondit l'hyène !

– Et tu me dévoreras en récompense, rétorqua le singe !

– Comment oserais-je me parer d'une telle ingratitude, ajouta l'hyène suppliante ? Je te jure, au nom de Dieu, de bien te récompenser si tu me fais sortir !

Le singe, attendri par les pleurs et les suppliques de l'hyène, eut finalement pitié d'elle et lui lança sa queue au fond du puits.

L'hyène grimpa et sortit de son enfer.

À peine sortie de là, tenaillée par faim, au lieu de remercier son sauveur, elle essaya de le tuer et de le manger. Le singe s'exclama alors :

– Grace à moi tu es vivante et, au lieu de me remercier, tu veux me dévorer ! Espèce d'ingrate !

Éclata alors une funeste bagarre, quand vint à passer le lièvre. Il essaya de séparer les protagonistes qui lançaient toutes sortes d'injures. Il obtint finalement un calme relatif et ordonna au singe de lui expliquer ce qui se passait, ne souhaitant pas interroger l'hyène qu'il connaissait que trop pour ses perpétuels mensonges. Après avoir écouté la version du singe, il demanda à l'hyène si elle reconnaissait les faits. Elle avoua finalement.

Le lièvre proposa aux deux protagonistes de tout reprendre à zéro : à l'hyène de retourner au fond du puits et au singe de la faire sortir avec sa queue. L'hyène accepta le marché. Le livre dit alors à l'hyène :

– Je vais compter jusqu'à trois puis tu sauteras dans le puits.

Le lièvre commença à compter, mais l'hyène plongea avant que le lièvre ait terminer de compter.

Le lièvre s'adressa alors au singe :

– Va maintenant t'occuper de tes affaires et laisse cette ingrate là où elle est car elle ne sera jamais reconnaissante des bienfaits de ceux qu'elle considère comme inférieurs.

Le singe remercia le lièvre de l'avoir sauvé des crocs de cette vilaine bête et les deux compagnons abandonnèrent l'ingrate à son triste sort.

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Source : Amadou Coulibaly (Mali). Adaptation française : Patrick Kersalé. © Amadou Coulibaly, Patrick Kersalé 2000-2024.

 


Le lièvre et l'hyène s'interrogent

Un jour, le lièvre et l'hyène s'interrogèrent sur l'opportunité de manger plutôt avec une femme enceinte ou avec une femme ayant déjà accouché. L'hyène dit :

– Moi je préfère manger avec une femme enceinte car, comme elle a le ventre plein, elle ne mange pas beaucoup.

Le lièvre exposa lui aussi sa version :

– Moi je préfère manger avec celle qui porte déjà un petit bébé.

L'hyène rétorqua alors :

– Vous serez trois à manger, alors tu ne seras jamais rassasié !

Les deux protagonistes décidèrent de vérifier leur théorie en allant manger chez deux femmes habitant deux maisons mitoyennes.

L'hyène alla trouver la femme enceinte. Ils commencèrent à manger et la femme mangea, mangea, mangea tant et tant que l'hyène s'arrêta de stupéfaction, admirant sa compagne tel un spectacle. Malheureusement pour elle, lorsque l'hyène revint à la réalité, elle ne put que contempler le fond du plat et se mit à pleurer.

Quant au lièvre, dans la maison de la mère, il pouvait manger à sa faim, profitant de l'occupation continuelle de la femme à essayer de calmer les cris et les pleurs de son bébé. Après que l'enfant se soit calmé, la mère le déposa dans son couffin et revint pour essayer, enfin, de manger. Elle entra alors dans une vive colère :

– Espèce de vaurien, je t'avais invité et tu as profité des pleurs de mon bébé pour manger seul tout le plat ! Déguerpis !

Marché aux bestiaux. Gorom-Gorom. Burkina Faso. © Patrick Kersalé 2000-2024.
Marché aux bestiaux. Gorom-Gorom. Burkina Faso. © Patrick Kersalé 2000-2024.

 

Le lièvre n'en demanda pas plus et s'en vint retrouver l'hyène.

Celle-ci, qui attendait le lièvre, le vit venir en sautant, dansant, chantant que la journée était belle. L'hyène bondit alors :

– Tais-toi, espèce de petit malin, tu réussis toujours là où moi j'échoue !

L'hyène penaude, détala sans plus attendre…

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Source : Amadou Coulibaly (Mali). Adaptation française : Patrick Kersalé. © Amadou Coulibaly, Patrick Kersalé 2000-2024.


Le lièvre, l'éléphant et l'hippopotame

Un jour, le lièvre se décida à mesurer la force de l'éléphant et de l'hippopotame. Il partit trouver le premier :

– Mon ami, mon camion est tombé dans le fleuve et je ne peux l'en faire sortir car je suis trop faible.

– Comment veux-tu que je le fasse sortir de l'eau ?

– J'ai une grosse corde à la maison. Je vais aller la chercher. D'un côté, je la nouerai à ta queue et de l'autre à mon camion ; tu auras juste à tirer. Vraiment, hormis toi, personne ne pourrait sortir mon camion de l'eau et le hisser sur cette haute dune.

– Bon, va chercher ta corde, je t'attends, dit l'éléphant pour satisfaire le pauvre lièvre.

Le lièvre en profita alors pour aller voir l'hippopotame :

– Cher ami, toi qui est le plus fort des survivants du fleuve, j'ai ma pinasse qui se trouve derrière cette grande dune et sans toi, je ne peux l'amener sur le fleuve. J'ai besoin de ton aide.

– Comment pourrais-je la mener jusqu'au fleuve, demanda l'hippopotame ?

– J'ai une grosse corde à la maison. Je vais aller la chercher. D'un côté, je la nouerai à ta queue et de l'autre à ma pinasse. Tu auras juste à tirer. Vraiment, hormis toi, personne ne pourrait hisser ma pinasse et la mener jusqu'au fleuve.

– Bon, va chercher ta corde, je t'attends, dit l'hippopotame pour satisfaire le pauvre lièvre.

Le lièvre n'en demanda pas plus, il détala et alla chercher sa corde. 

Il revint sans tarder et l'attacha en premier lieu à la queue de l'éléphant avant de s'exclamer :

– Tu commenceras à tirer lorsque, un fois monté sur la dune, je jouerai du tambour.

Le lièvre se dépêcha d'aller nouer l'autre extrémité de la corde à la queue de l'hippopotame et lui dit la même chose.

L'un sur terre d'un côté de la dune et l'autre dans l'eau de l'autre côté, le lièvre monta sur la dune et commença à frapper son instrument. Les deux robustes animaux commencèrent alors à tirer sans qu'aucun ne réussisse à avancer fusse même d'un pas. 

L'éléphant fanfaronna :

– Ton camion est très lourd mais je le tirerai du fleuve !

L'hippopotame, sans plus de modestie :

– Ta pinasse est très lourde mais je la mettrai au fleuve !

Après un ultime effort, le lièvre leur octroya un peu de repos. Quand il leur intima l'ordre de recommencer à tirer, les deux colosses déployèrent toute leur énergie. C'est alors que lièvre sortit son couteau et coupa brutalement la corde. L'hippopotame plongea malgré lui au fond du fleuve et l'éléphant fut précipité dans la brousse profonde.

Le lièvre se mit alors à jubiler et à scander qu'il était le plus malin de tous les animaux !

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Source : Sekou Bary. Collectage : Amadou Coulibaly (Mali). Adaptation française : Patrick Kersalé. © Amadou Coulibaly, Patrick Kersalé 2000-2024.


L'orpheline et sa marâtre

La petite Safi vivait paisiblement avec sa marâtre et sa demi-sœur Fata. Un jour, la petite Safi dut tresser les cheveux de sa marâtre. Ils étaient très sales et dégageaient une odeur suffocante qui arracha à la petite un cracha. Malheureusement pour elle, le projectile partit du mauvais côté et atterrit sur le pilon. La marâtre tourna malencontreusement la tête et aperçut le cracha sur son ustensile. Elle bondit sur ses deux pieds et s'écria :

– Maudite gamine, tu vas aller me laver ce pilon immédiatement, mais pas ici, à la mare sacrée.

La petite comprit alors qua sa marâtre voulait la conduire vers sa tombe. Elle pleura à chaudes larmes car nul n'avait jamais pu atteindre cette mare hantée par des diables.

En chemin, elle croisa deux corps humains sans tête en train de se battre. Elle les pria d'arrêter de se quereller, invoquant l'inutilité d'un tel acharnement. Aussitôt, les corps s'arrêtèrent et lui souhaitèrent bon voyage. À quelques lieux de là, elle croisa une marmite qui bouillait sans feu et criait. La petite s'en approcha, la réconforta et le récipient lui souhaita bon voyage. Elle continua son chemin et atteint les lieux sacrés. Elle s'arrêta et pleura de plus en plus fort. Aussitôt, une très belle femme jaillit de la mare et lui dit :

– Petite fille, pourquoi pleures-tu ? Aucun être vivant n'est jamais arrivé jusqu'ici avant toi. Que nous vaut ta visite ? Safi sécha ses larmes et narra son histoire à la belle diablesse compatissante qui invita l'enfant à pénétrer dans la mare. En entrant dans l'eau, elle découvrit un monde inconnu. La diablesse venait de mettre un petit diable au monde et supplia Safi de laver son nouveau-né. La jeune fille accepta immédiatement. La diablesse, réjouie, dit à Safi :

Cases peules. Vers Gorom-Gorom. Burkina Faso. © Patrick Kersalé 2000-2024.
Cases peules. Vers Gorom-Gorom. Burkina Faso. © Patrick Kersalé 2000-2024.

 

– Sur ton chemin, tu as croisé deux corps qui luttaient et une marmite qui pleurait. Les deux corps, c'était mon mari et moi-même. Tu nous a réconcilié. La marmite, c'était moi sur le point d'accoucher. Tu m'as consolée. Maintenant, je vais te récompenser. Tout d'abord, lave ton pilon et ensuite, tu prendras ces trois œufs. Quand tu atteindras ton village, tu en casseras deux. Le troisième, tu le briseras devant la porte de ta maison.Safi remercia la diablesse et quitta les lieux.

 

Depuis ce jour, Safi devint la fille la plus heureuse et la plus riche du pays.

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Source : Amadou Coulibaly (Mali). Adaptation française : Patrick Kersalé. © Amadou Coulibaly, Patrick Kersalé 2000-2024.