Cambodge - Musicothérapie en situation post-conflit


Il est question, dans cet article, de musicothérapie. Ce seul nom évoque un concept “occidental” (dans le sens de “société technologique”, donc pas seulement située en Occident) créé de toutes pièces avec des sons et des musiques provenant d'horizons divers, à l'image des pratiques spirituelles empruntées par exemple à l'Orient où chacun mixe ce qui lui semble bon. Cette pratique occidentale, créée de toutes pièces, sous tutelle d'un état, de fédérations, dispensée par des thérapeutes diplômés, tarifée, est à distinguer de celles, involontaires, réalisées par chacun d'entre nous pour nous-même, par des musiciens, des communautés villageoises dans les sociétés au mode de vie traditionnel, des responsables religieux lors des cérémonies où le son et la musique ont une place prépondérante, et bien d'autres encore. Si Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, ces acteurs que nous venons de citer, font eux aussi de la musicothérapie sans le savoir. Mieux encore, nous n'avons pas toujours conscience que nos choix musicaux, qui diffèrent selon nos humeurs, font de nous des musicothérapeutes dans l'instant où nous faisons ce choix. 

Par-delà les pratiques individuelles, existent aussi des pratiques collectives qui peuvent toucher un groupe ou tout un peuple. Alors une question se pose : faut-il “soigner les individus pour soigner un peuple” ou “soigner le peuple pour soigner les individus”. Probablement la réponse se situe-t-elle, comme bien souvent, à la croisée de ces deux concepts.

 

Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 2011-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 24 septembre 2024.


SOMMAIRE

PISTES PÉDAGOGIQUES

  • COVID-19 et spectacle vivant. Entre 2019 et 2022, le COVID-19 et ses cohortes de restrictions sanitaires (port du masque obligatoire, confinements, limitation des déplacements locaux et internationaux) ont-ils affecté positivement et/ou négativement la production et la création du spectacle vivant ? Y a-t-il eu des pertes de savoir-faire ? Si oui, sont-elles passagères ou irrémédiables ? Argumentez.

Le Cambodge post-Khmers rouges

La musique (et l'art en général) est l'un des ingrédients de la reconstruction des individus et d'une culture en période post-conflit/crise. Elle est tellement indispensable à la vie, au même titre que la nourriture physique et spirituelle, que le génocidaire Pol Pot commença par se débarrasser des artistes pour conduire son grand programme de “reset sociétal”.

Le conflit et la violence au Cambodge, dans les années 1970, font partie de la mémoire vivante de la plupart des personnes de plus de 40 ans. Les arts et la culture du pays ont énormément souffert : 90 % des artistes ont été tués et les nombreuses traditions transmises par voie orale mises en péril. Heureusement (si l'on peut dire) cette révolution ne dura pas suffisamment longtemps pour éliminer une génération entière, a contrario de ce qui s'est passé au Viêt Nam par exemple. Des dégâts irremplaçables ont été perpétrés, mais des racines étaient encore vivantes au sortir de la crise, soit parce que certains artistes ont su taire leur statut, soit parce qu'il ont fui à l'étranger. Depuis, d'heureuses initiatives, nées de l'extraordinaire résilience du peuple khmer, ont vu le jour afin que les arts en général, et la musique en particulier, se régénèrent. Parmi celles-ci :

  • Le renouveau du Ballet royal du Cambodge sous l'impulsion du Ministère de la Culture et la ténacité de la princesse Norodom Buppha Devi, puis son inscription en 2008 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l'UNESCO. 
  • La création de l'organisation Cambodian Living Arts par Arn Chorn-Pond pour la reviviscence de la musique traditionnelle.
  • La création de Golden Silk Pheach pour la reviviscence de la soie khmère.
  • Etc.

Il existe, chez les Khmers, un attachement culturel particulier aux temples hindouistes et bouddhistes de la période angkorienne (IXe-XIVe s.). La meilleure preuve ne se trouve-t-elle pas sur le drapeau national du Cambodge où figure le célèbre temple d'Angkor Vat ? Il s'agit d'un attachement viscéral sans lequel les Khmers contemporains ne seraient pas ce qu'ils sont. Mais par-delà les temples, les Khmers sont attachés aux légendes relatives à ces monuments, à leur construction par des géants. Ils ont créé un univers mental où nombres d'entre eux se voient comme des réincarnations de rois et de reines du passé. Ils aiment à s'identifier à ces personnages réels, devenus mythiques, comme le roi Suryavarman II, bâtisseur d'Angkor Vat, ou Jayavarman VII, monarque fondateur de l'Empire bouddhiste de la fin du XIIe s. avec ses deux épouses, les reines Indradevi ឥន្ទ្រទេវី et Jayarajadevi ជ័យរាជទេវី. J'ai eu moi-même l'occasion de rencontrer ces “réincarnations”. Il y en a tellement que vous ne risquez pas de les manquez si vous parlez khmer et engagez fortuitement la conversation lors de la visite des temples.

La thérapie commence donc par cette identification et tout ce qui en découle. Par exemple, l'entourage, proche ou éloigné, de ces “réincarnations”, exprime sa fierté de les connaître et d'appartenir au peuple khmer. Il n'est que de regarder les commentaires de la chaîne YouTube GeoZik, consacrée à la culture du Cambodge, pour se rendre compte de l'attachement des Khmers à leur culture ancienne et ce, jusqu'au générations les plus jeunes.


Le cas de la troupe de théâtre d'ombres Ty Chean

Maître Ty Chean en 1998 à Siem Reap. © Patrick Kersalé 1998-2024.
Maître Ty Chean en 1998 à Siem Reap. © Patrick Kersalé 1998-2024.

Alors que le conflit des Khmers rouges n'est pas encore réglé en 1992, Maître Ty Chean, l'un des derniers détenteurs du texte Reamker រាមកេរ្តិ៍ donné à travers le grand théâtre d'ombres Sbek Thom montre la voie à la nouvelle génération sous l'impulsion de l'ethnomusicologue français Jacques Brunet.

La révolution khmère rouge est généralement pointée du doigt, à raison, pour justifier la raréfaction ou la disparition des pratiques artistiques du Cambodge. Mais il semble qu’il en aille différemment pour ce qui concerne le Sbek Thom. Jacques Brunet écrit que la troupe de Maître Ty Chean est, dans les années 60, la dernière (ou tout du moins l'une des dernières). Il justifie le désintérêt des Khmers pour le Sbek Thom ស្បែកធំ par un témoignage fort intéressant : « Actuellement (années 1960) l'ensemble des épisodes représentés dure sept nuits. Commencée à vingt heures, chaque séance se poursuit tant qu'il y reste suffisamment de spectateurs, souvent jusqu'à une heure avancée de la nuit. Quelques vingt ans plus tôt, il fallait seize jours pour raconter tout ce que la tradition avait conservé, autrefois plusieurs semaines. Il ne s'agit donc plus aujourd'hui de la légende complète, mais d'épisodes choisis parmi les plus célèbres. La troupe n'a plus l'occasion de jouer bien souvent (une dizaine de fois par an) et la durée des grandes fêtes étant écourtée, la troupe ne peut représenter que les épisodes populaires. Elle a cependant joué dix-sept nuits de suite récemment pour fêter l'incinération d'un Vénérable de monastère. »

Ce ne sont donc pas les Khmers rouges qui ont détruit ce patrimoine culturel, mais bien la perte de sens pour les Khmers eux-mêmes. La persistance de cette forme d’art est liée à la survie de Maître Ty Chean lui-même et à son effort de restructuration après la révolution. Si Jacques Brunet travailla avec lui dans les années 1960, il revint au Cambodge en 1992. Dans une communication personnelle, il raconte : « Quand je suis venu, en 1992, faire un film sur le Ballet Royal avec une séquence sur le Nang Sbaek, les Beaux-Arts m'ont prêté les peaux que j'ai emmené à Siem Reap par avion quelques jours, le temps du tournage. En une semaine, Ty Chean a monté une troupe avec les jeunes du village, les faisant travailler cinq ou six heures par jour pour un résultat inespéré. Ils ont dansé trois nuits de suite pendant quatre heures chaque fois, c'était prodigieux car on avait retrouvé la façon dont ils dansaient dans les années soixante. Un vrai bonheur ! C'est grâce à cette semaine-là que cette mémoire pu être reconstituée. »

Quant à moi (Patrick Kersalé), j'ai eu la chance de rencontrer Maître Ty Chean en 1998 avant sa disparition en 2000. À cette époque, il avait réuni autour de lui, son fils, son petit-fils (Sophan) et des enfants de Siem Reap. Chaque jour, musiciens et manipulateurs répétaient sous l’œil vigilant et la présence ininterrompue du maître.

L'inscription par l’UNESCO du Sbek Thom sur la “Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité” a bien entendu contribué à la reviviscence de cet art. Les troupes se sont multipliées, créées par des individus détachés de troupes en activité. Il faut reconnaître que dans un pays aussi pauvre que le Cambodge, la création d’une nouvelle troupe représente un tour de force car il faut créer un orchestre, réaliser les figures de cuir, répéter intensément, assurer le marketing pour attirer les touristes… Aujourd'hui, la réappropriation du Sbek Thom constitue une fierté nationale pour les Khmers.

Aujourd’hui, les diverses troupes du Cambodge se produisent devant des parterres de touristes ignorant à la fois tout du Sbek Thom et du Reamker. Les séances durent tout au plus une heure. La troupe du monastère de Vat Reach Bo, à Siem Reap, offre l’un des spectacles les plus aboutis sur le plan de la mise en scène. Plusieurs éléments contribuent à la magie du moment : la qualité de l’accueil du public, le cadre du monastère, l’utilisation d’un feu alimenté par des noix de coco et non par une lumière électrique ; tout cela crée une magie à laquelle les spectateurs sont sensibles. La qualité de l’assise devant l’écran et le faible nombre de spectateurs invités contribuent également à créer un sentiment de privilège pour qui vit l’instant. 


Lieu et date : Cambodge - Siem Reap. 1992.

Durée : 04:15. © Jacques Brunet 1992-2024.

Dans une séquence vidéo réalisée en 1992 par l'ethnomusicologue français Jacques Brunet, Maître Ty Chean, l'un des derniers maîtres vivants du Sbek Thom à cette époque, explique qu'il est possédé par des esprits et que les gens viennent les honorer.



Le cas de Cambodian Living Arts

Arn Chorn-Pond, fondateur de Cambodian Living Arts. © CLA 2022-2024.
Arn Chorn-Pond, fondateur de Cambodian Living Arts. © CLA 2022-2024.

Pour redonner à la musique traditionnelle ses lettres de noblesse, Arn Chorn-Pond fonde en 1998, après le dernier soulèvement de Pol Pot en 1997, le Programme des Maîtres-performeurs cambodgiens, qui deviendra Cambodian Living Arts (CLA). Né au Cambodge dans une famille d’artistes ayant survécu au génocide, il étudie aux USA et y œuvre quelques années comme travailleur social avant de retourner au Cambodge. Durant vingt ans, CLA soutiendra des maîtres de musique qui enseigneront leurs savoir et savoir-faire à la jeune génération. Un certain nombre d'entre eux deviendront à leur tour musiciens professionnels et enseignants.

CLA a utilisé la musique pour soigner les traumatismes, sauvegarder les traditions, redonner du sens à la vie des Khmers et former les jeunes afin qu’ils contribuent à l’essor du pays. Cette organisation a désormais un écosystème élargi de partenaires dans d’autres régions du monde, dispensant le résultat de toutes ses années d'expérience.

Comme l’explique son directeur général, Phloeun Prim, la destruction des symboles et des artefacts culturels (lieux religieux et culturels, monuments et œuvres d’art) fait partie intégrante des conséquences d’un conflit. L’opprimant, qu’il soit un autre pays ou un dictateur, cherchera à déraciner le groupe opprimé de son identité, de sa culture et instaurer sa propre vision sociétale. Comme exemple contemporain, le “gouvernement mondial” cherche à unifier les peuples autour du “Mythe Vaccinal”, nouveau lien commun entre les peuples, pour mieux les asservir.


Le cas de Sounds of Angkor

En 2009, Patrick Kersalé, ethno-archéomusicologue français, crée Sounds of Angkor (SOA), un laboratoire de recherche fondamentale et expérimentale sur la musique, la danse et les arts scéniques traditionnels et anciens (angkoriens) du Cambodge. SOA initie une recherche sur ces patrimoines immatériels relevant de la tradition, mais aussi et surtout, des patrimoines disparus des périodes préangkorienne et angkorienne (VIIe-XIIIe s.) pour lesquels il existe une iconographie substantielle, une épigraphie et des objets archéologiques. Sur les murs de quelques temples importants (Angkor Vat, Bayon, Banteay Chhmar) est représenté un patrimoine matériel dont un certain nombre d'éléments (instruments de musique, carrioles à bœufs, arbalètes…) demeurent dans le cambodge contemporain, mais aussi des éléments disparus (tenues vestimentaires, instruments de musique…). Figurent également des scènes appartenant au patrimoine immatériel (célébration de rituels, funérailles, musique, danse, etc.). Ces patrimoines du passé fédèrent la société khmère. Grâce à la coalition d'un certain nombre de nations et de mécènes, ce patrimoine est préservé et restauré depuis le début du XXe siècle (murs d'enceinte, portes, temples).

En 2012, fort d'une longue expérience sur le terrain de l'ethnomusicologie, Kersalé commence à reconstituer les instruments de musique disparus figurant dans l'iconographie des temples. En octobre de cette même année a lieu, à l'Institut français du Cambodge à Phnom Penh, la première exposition autour de son travail. Une quarantaine d'instruments sont présentés en regard de photographies colorisées des bas-reliefs. C'est un incroyable succès. Des personnalités d'état, des membres de la cour royale, le directeur de la communication du Premier Ministre de l'Inde et des centaines de Cambodgiens viennent visiter l'exposition et participer à ses conférences. Des larmes de joie coulent à longueur de journée sur les joues de ces Khmers qui découvrent un patrimoine séculaire oublié : Leur Patrimoine. Face à cette émotion non dissimulée, Patrick Kersalé comprend que la mission de Sounds of Angkor s'inscrit dans une démarche de reconstruction mentale des Khmers, un fil conducteur qu'il ne quittera plus et même, le dépassera…

L'aventure se poursuit en 2013 avec une prestation mémorable lors de l'ouverture de la 37e session internationale UNESCO au Palais de la Paix à Phnom Penh. Sont présents de hauts fonctionnaires de l'état, la directrice générale et les ambassadeurs UNESCO de tous les pays affiliés. Une occasion pour les Khmers de briller à l'échelle internationale. Lors de cette prestation, il a fallu créer quelque chose de nouveau : une musique martiale pour l'orchestre de parade militaire du roi Suryavarman II (début XIIe s.) et des musiques de cour pour les orchestres à cordes de cette même période. La musique martiale a été inspirée à la fois par la pratique musicale processionnelle du bouddhisme tibétain et par une mémoire collective des Khmers. Pour la musique de cour, le Ministère de la Culture et des Beaux-Art du Cambodge a proposé une musique considérée comme l'une des plus ancienne encore connue, adaptée aux “nouveaux” instruments surgis de la pierre. Puis vint le temps de l'enseignement et de la création : école de musique, conférences, visites de temples…

 


Lieu et date : Cambodge, Phnom Penh, Palais de la Paix. 2013.

Durée : 12:02. © Patrick Kersalé 2013-2024.

La troupe Sounds of Angkor, dans sa version “orchestre à cordes préangkorien puis angkorien” et “orchestre de parade martiale”, joue devant un parterre de VIP : Directrice générale et ambassadeurs UNESCO, Ministre de la Culture du Cambodge, etc… Une première pour SOA qui fera de cette troupe l'un des fers de lance du renouveau d'un patrimoine totalement oublié depuis le sac d'Angkor au XVe s. 


Depuis lors, SOA joue pour des manifestations nationales majeures à la fois laïques et religieuses puisque la devise du Cambodge est « Nation, Religion, Roi ».

La harpe, instrument mythique pour les Khmers, a focalisé toutes les attentions. Elle fut et demeure le pôle central du projet de SOA. Son nom n'avait jamais été oublié, de même que sa forme générale, se perpétuant à travers la peinture des monastères bouddhiques. Même si le Bouddha n'était pas un adepte de la musique instrumentale, les instruments musicaux ou de communication sonore (conques) ont toujours occupé une place dans la peinture bouddhique pour servir les rituels dépeints ou la métaphore de la Voie du milieu, l'un des fondements du Bouddhisme.

Depuis 2009, Patrick Kersalé décide seul et en conscience des programmes de développement. Il doit toutefois à Cambodian Living Arts (CLA) un soutien moral et financier pour ce qui concerne le création de la troupe Sounds of Angkor. En effet, fort de l'expérience de la reconstitution instrumentale, il fallait faire revivre ces instruments. C'est alors qu'est née l'idée de la création d'une troupe qui pourrait se produire lors d'évènements officiels (gouvernement, royauté), de fêtes religieuses (processions et cérémonies bouddhiques), sur scène et à la télévision. Son développement a commencé à Phnom Penh, primo parce qu'il y vivait en 2012 et secondo parce qu'il y existait un potentiel de musiciens formés par Cambodian Living Arts. Mais la mobilisation de ces musiciens n'a pas été aisée. Kersalé organisait quotidiennement des cours de harpe khmère à son domicile avec l'aide d'un ou deux maîtres, mais les élèves, s'ils étaient volontaires, n'étaient pas doués. C'est alors qu'un garçon d'exception, Sopheak Chen, qui avait passé quinze années de sa vie dans un orphelinat de Phnom Penh, se trouva sur sa route. Chaque jour, il quittait l'orphelinat pour venir travailler les instruments, tout particulièrement la harpe, au domicile de Kersalé. Sopheak Chen fut soutenu durant cette période par l'association Éléphant blanc qui finançait son transport. Grâce au génie musical de ce jeune garçon (véritable Mozart cambodgien !) l'aventure de Sounds of Angkor prit un nouvel essor. Sopheak est hors norme : petit, mal-voyant, à la limite de l'autisme, mais un génie en musique. Au début, ses pairs avaient bien du mal à accepter ces différences jusqu'au jour où, au pied du mur, un musicien chevronné au fort ego, quitta la répétition après avoir été humilié, non intentionnellement, par Sopheak Chen ; il revint deux heures plus tard, reconnaissant dans un geste de soumission, la supériorité musicale de son alter ego. En 2013, Kersalé migre à Siem Reap et décroche un contrat pour Sopheak Chen dans le plus grand palace de la ville. Il y jouera durant quatre années. 

 

Lieu et date : Cambodge, Siem Reap. 2013.

Durée : 04:02. © Patrick Kersalé 2013-2024.

Grâce à la harpe khmère, Sopheak Chen change radicalement de vie. Il quitte sans transition son orphelinat crasseux de Phnom Penh pour jouer dans le plus grand palace de Siem Reap, l'hôtel Amansara. Grâce à sa connaissance du répertoire traditionnel khmer, il peut instantanément jouer avec une chanteuse aveugle qui officie dans ce même hôtel. Il a une âme de musicien.


Patrick Kersalé et la troupe Sounds of Angkor

La troupe Sounds of Angkor s'est développée sur une base de 22 membres : musicien-nes et danseuses. Elle eut l'occasion de réaliser des performances auprès de Sa Majesté Norodom Sihamoni roi du Cambodge, d'autorités gouvernementales cambodgiennes, de représentants d'organisations internationales, de fêtes religieuses, etc. Pour maintenir et développer la troupe, Cambodian Living Arts (CLA) et Sounds of Angkor (SOA) ont cherché à créer un spectacle permanent à Siem Reap. Le directeur de CLA s'est déplacé, usant de ses relations, mais la ville n'avait pas de lieu pour accueillir la troupe. Il y avait pourtant un fort potentiel touristique puisque Siem Reap accueille chaque année des millions de visiteurs qui viennent découvrir les temples khmers. Elle demeure néanmoins une petite ville de province qui a vu se construire de nombreux hôtels dont plusieurs 5 étoiles, mais pas de salle de spectacle. C'est finalement le monastère bouddhiste de Vat Reach Bo qui accueillit la troupe pour des représentations occasionnelles à destination des touristes. 

Malgré la modestie des moyens et des représentations, l'aura de la troupe fut portée par les médias et au travers de conférences données à Phnom Penh et Siem Reap. L'Université royale des Beaux-Arts de Phnom Penh a ouvert une classe de harpe khmère, démultipliant ainsi l'action de SOA. Le facteur de harpe Keo Sonan Kavei a fabriqué (et continue de fabriquer) des harpes par dizaines, ayant même difficulté à répondre à la demande. De plus en plus de musicien-nes commencèrent à jouer la harpe en public. Mieux encore, le compositeur Him Sophy intégra deux harpes dans son œuvre symphonique Bangsokol : A Requiem for Cambodia. Des troupes concurrentes virent le jour à Phnom Penh ou bien commencèrent à intégrer des instruments révélés par les recherches de SOA.

 

Bangsokol : A Requiem for Cambodia

Bangsokol : A Requiem for Cambodia est la première œuvre symphonique majeure du Cambodge à aborder les traumatismes de la fin des années 1970. Elle fusionne voix, musique, mouvement et images. La partition associe un orchestre de chambre et un chœur occidentaux à des instrumentistes et des chanteurs khmers traditionnels.

 

Lieu et date : USA, New York - Vat Samakki. 2017.

Durée : 06:45. © Tong Chay 2017-2024.

Une sélection des meilleurs musiciens et chanteurs traditionnels cambodgiens, tels que Sophy Keo et Savy Him, s'est associée à des joueurs d'instruments à cordes du Yong Siew Toh Conservatory of Music de Singapour. La musique est du compositeur Sophy Him et une partie de la scénographie du cinéaste Rithy Panh.

Cette vidéo présente une répétition du spectacle à New York en 2017 ; elle est justifiée par la présence de deux harpes khmères initialement reconstituées par Patrick Kersalé puis améliorées par Keo Sonan Kawei qui ajouta des chevilles de guitares à l'instar des harpes birmanes saung gauk contemporaines.


Premier bilan

Avant que le COVID ne vienne tout chambouler, il peut être tiré un premier bilan de l'action de SOA au Cambodge :

  • Une recherche de 10 ans en archéomusique et la publication de la totalité des résultats sur le net (écrits, films).
  • La renaissance de tous les instruments angkoriens visibles sur les bas-reliefs et identifiés dans l'épigraphie.
  • La création d'expositions permanentes (Theam's Gallery à Siem Reap) et temporaires, de spectacles à Phnom Penh et Siem Reap.
  • La participation au Comité international de coordination pour la sauvegarde du patrimoine culturel - CIC UNESCO.
  • La création de conférences et de formations auprès de politiques, de chercheurs, d'universitaires, d'écoliers, de guides touristiques.
  • Des visites de temples avec des écoliers, des universitaires, les autorités du Parc archéologique d'Angkor, la ministre de la Culture.
  • La participation à des évènements majeurs de la vie culturelle du Cambodge organisés par la cour royale, le gouvernement, des organisations internationales, des monastères bouddhistes, des privés…
  • La création d'une classe de harpe à l'Université royale des Beaux-Arts et d'écoles privées.
  • La présence de la harpe dans l'œuvre symphonique Bangsokol : A Requiem for Cambodia qui fut jouée sur trois continents.
  • L'avènement de la harpe sur la scène du Ballet royal du Cambodge.
  • Le retour de la harpe dans diverses couches sociales de la société khmère y compris chez les Khmer Krom du Viêt Nam. 
  • La création d'instruments prestigieux permettant à des artisans de retrouver des savoir-faire.
  • Le retour de la harpe khmère au Palais royal du Cambodge après plusieurs siècles d'absence grâce au soutien de Cambodian Living Arts.
  • À compter de 2022, un tour du monde de cinq ans pour une harpe khmère reconstituée par Patrick Kersalé aux côtés d'objets archéologiques angkoriens.

La Nation khmère  (et non pas cambodgienne !) panse ses blessures en se reconnectant à son passé le plus prestigieux : la période angkorienne. Au XIIe s., Angkor était l'une des plus grandes cités du monde. Les dernières recherches parlent de 800 000 habitants. SOA contribue à faire chanter les pierres. Le gouvernement, à travers son Ministère de la Culture et des Beaux-Arts, s'est emparé du résultat de ce travail pour communiquer. La plupart des Khmers peuvent de nouveau voir et entendre  la harpe khmère sur scène ou à la télévision, et ainsi retrouver un soupçon de fierté. 

Lieu et date : Cambodge, Siem Reap, Vat Reach Bo. 2017.

Durée : 02:35. © Patrick Kersalé 2017-2024.

L'idée de la création d'un cours de musique permanent naquit et se concrétisa en 2012 à Phnom Penh. Puis, une nouvelle école, Sounds of Angkor Academy, fut créée au monastère bouddhique Vat Reach Bo à Siem Reap afin de former des élèves à la pratique des instruments angkoriens et post-angkoriens grâce à l'aide logistique du Vénérable du monastère et à deux enseignants : Men Pheakdey (harpe arquée, cithare monocorde, luth trisari) et Pon Pong (orchestre funéraire kantoam ming). Cette école a résisté aux affres du COVID-19 et continue de fonctionner au moment où nous écrivons ces lignes (juin 2022).

 


Lieu et date : Cambodge, Phnom Penh, Hotel Rosewood. Mars 2020.

Durée : 03:57. © Thmey Thmey Media 2020-2024.

La dissémination de la connaissance sur les instruments de musique anciens passe également par l'organisation d'expositions. En mars 2020, l'hôtel Rosewood de Phnom Penh crée “20 eyes on the Royal Ballet”. C'est l'occasion pour Sounds of Angkor de présenter les deux harpes offertes au Ballet royal. C'est aussi l'occasion pour le Ballet royal du Cambodge de briller à travers des objets, des costumes et des peintures représentant des danseuses khmères. La chaîne YouTube Thmey Thmey offre une vitrine sur cet évènement.


Périodes COVID et post-COVID

Le COVID a paralysé la quasi totalité des activités de Sounds of Angkor (hormis la recherche et les publications). La ville de Siem Reap a été décimée économiquement avec la perte de 100% de ses touristes étrangers. La plupart des hôtels et des restaurants ont fermé. Plus aucun spectacle n'a été donné depuis le début de la pandémie. Demeurent les hommes et les femmes qui ont été formés.