Viêt Nam - L’espace de la culture des gongs


Les minorités ethniques du centre du Viêt Nam, à l'instar de celles du sud du Laos et du Nord-Est du Cambodge, jouent des ensembles de gongs. Le nombre d'éléments constitutifs varie de deux à vingt selon l'ethnie et le rituel. Ces instruments et leur jeu sont d'un intérêt historique de premier plan. Les gongs joués au Viêt Nam ont été inscrits sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité sous le vocable « L’espace de la culture des Gongs ». GeoZik a effectué plusieurs missions de collectage dans la cordillère annamitique entre 1997 et 2002. Pour accéder à la pluralité des ensembles de gongs, nous avons opté pour une entrée alphabétique des ethnies.

 

Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 1998-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 30 septembre 2024.


SOMMAIRE

PISTES PÉDAGOGIQUES

  • Matériaux. Quels matériaux composent les gongs ?
  • Structure sociétale et musique. Quelle est l'influence de la structure d'une société sur celle des orchestres ? 
  • Pratique. Apprenez à jouer une mélodie connue avec la technique du hoquet en utilisant les instruments à votre disposition. Observez et décrivez l'état de concentration des participants.
  • Allez plus loin avec les Éditions Lugdivine.

Note liminaire

Le nom des ethnies dont il est question dans ce PAE, ainsi que leur graphie, sont très diverses. Le gouvernement vietnamien, avec la graphie romanisée de la langue việt, unifiée du nord au sud du pays, propose une version elle aussi unifiée pour écrire le nom des 54 ethnies officielles. Or cette graphie arrive tardivement par rapport aux écrits des premiers ethnologues, francophones ou anglophones, qui ont chacun utilisé une translittération spécifique. Afin d'uniformiser cette graphie dans nos divers PAE et de créer des liens avec nos publications antérieures, nous avons décidé d'utiliser les graphies anciennes non unifiées. Dans le corps texte ou les pop-up, vous trouverez d'autres manières d'écrire, toutefois sans exhaustivité compte tenu de leur nombre.


Le gong en Asie du Sud-Est

En Asie du Sud-Est, le gong a été et demeure un objet de grande valeur entouré d’obligations, d’interdits et de mystères.

Il existe plusieurs types d’organisations physiques des gongs : les gongs isolés, les carillons de gongs joués par un seul instrumentiste et les ensembles de gongs joués par plusieurs instrumentistes. Dans les trois cas, soit les gongs se suffisent à eux-mêmes, soit ils sont accompagnés d’autres instruments ou de voix.

Sur le plan organologique, on distingue deux types de gongs : les gongs plats et les gongs à mamelon dits aussi gongs à bosse, gongs bulbés ou encore gongs renflés. Ils sont fabriqués artisanalement par martèlement de plaques de métal préalablement fondues (ou récupérées, ce qui est aujourd’hui souvent le cas), composées d'un alliage de cuivre (70% à 80%), d’étain et/ou plomb (30% à 20%), avec parfois des traces d’argent, d’or, de fer ou de zinc pour les plus anciens et selon les informations collectées parmi les connaissances ou croyances de ces peuples.

Quelle que soit la préciosité de leurs matériaux, les gongs représentent, pour les familles qui les possèdent, un signe extérieur de richesse et de prestige, certaines riches familles en possédant parfois plusieurs. Autrefois, les gongs représentaient une monnaie d’échange pour acheter buffles et éléphants ou encore pour s’acquitter d’une dette à la suite d’un jugement prononcé par le tribunal traditionnel. Selon leur taille et la qualité de leur alliage, ils pouvaient être échangés contre un éléphant, des buffles, un esclave ou servir à racheter une faute.

Autrefois, les gongs étaient fabriqués au Laos et au Viêt Nam selon deux techniques : martèlement et fonte. Ces derniers sont les plus précieux ; on les reconnaît à la trace laissée par le moule dans le diamètre.

 

Conception sociale

L’ensemble de gongs — que l'on pourrait également qualifier de carillon éclaté — doit être considéré comme un seul et même instrument et non comme une multitude à l'instar d'un orchestre aux instruments hétérogènes. Toutes les sociétés d’Asie du Sud-Est jouant les gongs ont une vision collective de leur société. Autrefois, tout se faisait collectivement : l'essartage, la riziculture, la construction d’une maison, la capture des éléphants sauvages, etc. Toutes ces populations vivaient autrefois en autarcie dans les forêts primaires qui pourvoyaient à tous leurs besoins vitaux : nourriture, soins et construction. Bien entendu, ces sociétés avaient des échanges commerciaux interethniques. Certains partaient même en Chine pour échanger les produits de la forêt (plantes, ivoire, pierres précieuses…) contre des produits inconnus au Viêt Nam. Cette vision collective de la vie sociale se prolonge dans le jeu des gongs. Chaque musicien produit une note de la mélodie dont la base est généralement un chant. D’ailleurs, pour savoir à quel moment le musicien doit jouer la note, il chante la mélodie dans sa tête, repère la note et frappe son gong.

 

Rôle et jeu

Les ensembles de gongs sont joués lors de rites liés aux esprits (yang), aux défunts ou encore (de plus en plus) lors de simples réjouissances. Autrefois (mais aujourd’hui encore selon le niveau de développement) diverses fonctions étaient dévolues aux ensembles de gongs, selon le moment où ils étaient joués :

  • outils de communication permettant d’éveiller, d’inviter et de satisfaire les esprits bienveillants (offrande sonore) ;
  • exorcisation des esprits considérés comme maléfiques ;
  • outils de convivialité animant les danses rituelles (elles-mêmes offrandes aux esprits) et rapprochant les hommes.

L’inauguration d’une maison, les funérailles, la cérémonie d’abandon du tombeau (rite accompagnant le départ de l’âme du défunt vers le pays des morts), l’accueil d’un étranger, les retrouvailles familiales, etc. étaient autant d’occasion de frapper les gongs. Aujourd’hui, compte tenu de l’altération des croyances anciennes, la limite entre la notion de communication avec l’au-delà et celle de pures réjouissances est difficile à évaluer. Ces cérémonies sont généralement accompagnées de grandes libations de bière de riz, boisson légèrement alcoolisée que l’on boit dans des jarres avec des chalumeaux en bambou.

Selon les ethnies, les gongs sont joués soit à l’intérieur de la maison, soit à l’extérieur, soit encore les deux. Pour une ethnie et un ensemble de gongs donnés, la place de chaque élément et de chaque instrumentiste est précisément définie et non interchangeable. C’est toujours le musicien qui se déplace et non le gong.

Chaque ethnie possède sa propre organisation spatiale des gongs et sa propre manière de jouer. Certains ensembles ne possèdent que des gongs plats, d’autres seulement des gongs à mamelon, d’autres encore un panachage des deux. Le nombre de gongs par ensemble varie de deux à plus de vingt.

Le jeu des gongs utilise la technique dite du hoquet puisque, dans un ensemble, chaque protagoniste ne possède qu'un gong et que l'objectif est de jouer une mélodie composée d'un maximum de cinq notes (échelle pentaphonique). Dans l'ensemble des ethnies de la grande région frontalière du Laos, du Cambodge et du Viêt Nam, le hoquet est une pratique courante pour les gongs, la flûte de Pan éclatée ou l'orgue de bambou à onde de choc.

 

Fabrication

Les gongs sont fabriqués soit par fonte du bronze (de plus en plus rare), soit par martèlement (la norme aujourd'hui au Vêt Nam). Cet artisan de la région de Hội An connaît les deux techniques et possède même un moule pour la fabrication des gongs à mamelon. Chaque surface, plane ou concave, doit être martelée afin d'offrir de la rigidité au métal, à l'image d'une bouteille d'eau en plastique aux fines parois. Sans les motifs qui la composent, elle n'aurait pas assez de rigidité.

 

Lieu et date : Viêt Nam, région de Hoi An - 20 mars 2002.

Durée : 02:55. © Patrick Kersalé 2002-2024.


Dimensions

La taille des gongs était autrefois inféodée aux dimensions corporelles, à l'instar des flûtes, des maisons, des greniers à riz ou encore du mobilier. Les hommes de la génération la plus ancienne connaissent parfaitement ce sujet. Les proportions relèvent soit de dimensions fixes, propres et proportionnelles à chaque individu (coudée, empan, main, etc.), soit d'une combinaison de ces valeurs de base. L’objectif final est double :

  1. Que les gongs offrent les notes de l’échelle musicale utilisée par le chant (dans le cas où les gongs reproduisent la mélodie des chants).
  2. Que les gongs, selon leur nature, s’encastrent les uns dans les autres. Cette raison purement pratique permet le stockage et le transport dans les meilleures conditions de ces précieux biens. Une fois encastrés, les gongs sont rangés dans des paniers de bambou tressé. N’oublions pas que tous les peuples des hauts-plateaux étaient autrefois des semi-nomades et que les précieux gongs devaient suivre les déplacements dans les meilleures conditions de sécurité. Un seul gong égaré et toute cérémonie aurait été compromise.

Lieu et date : Viêt Nam, prov. Đắk Lắk, vill. Buon Ako Dong. 16 mars 2002.

Durée : 01:55. © Patrick Kersalé 2002-2024.



Bahnar

  Musiciens bahnar. © Patrick Kersalé 2002-2024.
Musiciens bahnar. © Patrick Kersalé 2002-2024.

Les ensembles de gongs des Bahnar sont divisés en deux sections : mélodique et rythmique. L’ensemble instrumental est généralement composé de six, huit ou dix gongs plats čĭng, trois gongs à mamelon čêng et un petit tambour en forme de tonneau à double membrane sơgơr. Les gongs plats jouent la mélodie et ceux à mamelon l’accompagnement rythmique. Le tambour portatif en forme de tonneau frappe chaque pulsation. Les musiciens jouent en se déplaçant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Le tambour est en tête, puis viennent les gongs à mamelon et enfin les gongs plats. Si autrefois de petites cymbales à pustules fermaient la marche, on les rencontre plus rarement aujourd’hui.

Les mélodies interprétées avec les gongs sont par ailleurs chantées ou jouées sur d’autres instruments tels la cithare tubulaire bicorde, la vièle à résonateur buccal, le xylophone en bambou…

Pour les techniques et les circonstances de jeu : mêmes remarques que pour les Jörai ci-après.

 

Lieu et date : Viêt Nam, prov. Kon Tum Kơ Pơng. 16 mars 2002.

Durée : 01:04. © Patrick Kersalé 2002-2024.

Nom et âge des musiciens au moment du tournage : Lơt - 52 (tambour sơgơr), A-Ngơr - 73, Meoh - 46, Khaih - 67, Blich - 54, Theo - 48, Chip - 72, Hmong - 58, Nhơl - 84, Chak - 65, Yiưh - 77, Chep - 64, Klung - 48. 

 

Nota : dans ces sociétés, si l'âge s'incrémente chaque année de manière universelle, le nom, lui aussi, change : à la naissance du premier enfant puis du premier petit-enfant. Un véritable casse-tête pour les généalogistes !


Sacrifice au génie de la maison commune soi yang rông

 

sa kơbô - Manger le buffle

Lieu et date : Plei Rơhai. 14 mars 1998.

Durée : 02:37. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

tơdam - Jeune homme

Lieu et date : Plei Rơhai. 14 mars 1998.

Durée : 02:46. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

bet kơbô - Piquer le buffle

Lieu et date : Plei Rơhai. 14 mars 1998.

Durée : 02:36. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

đô - Demander la récompense

Lieu et date : Plei Rơhai. 14 mars 1998.

Durée : 02:34. © Patrick Kersalé 1998-2024.


Funérailles đê lôč

 

grong đê lôč

Lieu et date : Plei Rơhai. 14 mars 1998.

Durée : 02:36. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

thông đê adruh - Courtiser les jeunes filles

Lieu et date : Plei Rơhai. 14 mars 1998.

Durée : 02:28. © Patrick Kersalé 1998-2024.



Êđê

Chez les Êđê, le jeu des gongs procède à la fois de l’exercice de virtuosité et de la joute musicale où chacun mesure son adresse et cherche à s’affirmer dans la société traditionnelle. L’extrême rapidité du jeu et l’adresse de certains musiciens conduit ces derniers à tenter de déséquilibrer des moins adroits qui, s’ils font trop d’erreurs, se font parfois exclure de l’ensemble. Le jeu des gongs êđê, vif et martial, contraste avec celui des autres ethnies de la région, mélodique.

Au sein de l’orchestre, il existe deux types de gongs : les gongs plats (au nombre de 7) et les gongs à mamelon (3). Leur jeu est toujours accompagné par le gros tambour en tonneau monoxyle hgơr.

 

Utilisation et rôle du gong

Selon la conception des Êđê, les gongs permettent de communiquer avec les entités spirituelles. Ils sont frappés — “tông čing”, littéralement “frapper les gongs” — lors des occasions suivantes :

  • cérémonies propitiatoires telle l'inauguration d'une maison accompagnée de sacrifices de poulets, de porcs, de bœufs ou de buffles pour demander protection et chance aux entités spirituelles ;
  • décès d’origine naturelle : on commence à jouer dans la maison vers 4 heures du matin jusqu’au départ du mort vers son ultime demeure (enterrement) ;
  • décès survenu accidentellement, sur un champ de bataille ou à la suite d’une rixe : on ne peut jouer qu’à l’extérieur du village et sur le lieu de l’inhumation ;
  • cérémonie d’abandon de la tombe (généralement un an après l'enterrement).

L’ensemble de gongs

Disposition des gongs dans une maison êđê. © Patrick Kersalé 2003-2024.
Disposition des gongs dans une maison êđê. © Patrick Kersalé 2003-2024.

Au sein de l’orchestre, il existe deux formes de gongs : les gongs plats (au nombre de 7) et les gongs à mamelon (3). Ils sont joués en ensemble par les hommes selon un procédé rythmique (contrairement à la plupart des ethnies montagnardes des hauts-plateaux qui les jouent mélodiquement). Dans l’orchestre, chaque gong est joué par une personne. Leur jeu est toujours accompagné par le tambour en tonneau hgơr. Chaque gong porte un nom spécifique en fonction de sa taille, de la région et/ou du sous-groupe ethnique.

Les gongs plats

Les gongs plats sont divisés en deux groupes physiques opposés, hluê et knah. Lorsque l’orchestre joue à l’intérieur de la maison, chaque élément de l’ensemble a une place fixe et immuable à l’intérieur de la pièce commune (gah) située à l’entrée de la maison juste après le perron. Autrefois les Êđê vivaient dans des maisons longues accueillant la famille élargie. Certaines pouvaient atteindre cent mètres. Les trois instruments du groupe knah sont suspendus à la poutre (êyong) ouest de la charpente, au-dessus du banc traditionnel (kpan) placé le long d’une paroi du bâtiment dans le sens longitudinal. Lorsque les gongs sont joués à l'extérieur de la maison, on les suspend à une poutre de bambou ou de bois disposée pour l’occasion. Les instruments du groupe hluê sont tenus incliné sur la cuisse du musicien. Tous les musiciens jouent assis.

Le gong appelé čhar ne fait partie d’aucun groupe. Il est le plus grand instrument de l’orchestre et a une grande valeur. Pour le jeu, il est suspendu à la première poutre transversale (ou couple de poutres êda) de la maison, située à une distance de 0,5 et 1 m de l’entrée principale, emplacement correspondant au foyer autour duquel la famille se réunit chaque soir. L’exécutant est généralement un homme âgé. Puis se succèdent respectivement sur le banc kpan à partir de la porte d’entrée principale, les groupes de gongs knah et hluê dans un ordre décroissant de tailles. L’entrée principale peut se trouver au nord ou au sud mais l’ordonnancement des gongs se fera toujours par rapport à celle-ci et du côté ouest (cet orient symbolisant le monde des morts et l’Est celui des vivants).

Les gongs plats sont frappés au centre et à l’intérieur avec une baguette de bois — provenant généralement d’un arbre appelé localement kyâo mnǔt — tenue dans la main droite. La main gauche étouffe ou non le son selon les notes composant le rythme.

 

Nom des gongs plats et diamètres moyens en centimètres

Le plus grand gong

čhar - 70-90

 

Groupe physique knah

knah phǔn (appelé aussi knah ti) - 42-57

knah hliang - 38-53

knah khơk - 37-48

 

Groupe physique hluê

hluê khơk prŏng (prŏng = grand) - 34-45

hluê hliang - 32-42

hluê khơk điêt (điêt = petit) - 30-37


 

Les gongs à mamelon

Pour les gongs à mamelon, il en va différemment. L’ana čing symbolise la mère. Il est suspendu à l’extrémité du banc kpan, vers la porte d’entrée et joué en laissant résonner le métal. Le mung čing, plus rarement joué dans la maison, est suspendu à la poutre êyong à l’extrémité du kpan, en deçà du pilier kmeh. Le mđǔ čing est quant à lui couché sur le kpan, près du tambour hgơr. Il est frappé à plat sur le mamelon, soit avec le poing droit, soit avec une mailloche dont le heurtoir est constitué de ficelle, de cire et d’étoffe ou de plastique, tandis que la main gauche étouffe le son.

 

Nom des gongs à mamelon et diamètres moyens en centimètres

ana čing - 66-73

mđǔ čing - 62-65

mung čing (appelé aussi mông čing) - 65


 

Le jeu des gongs

Nous avons vu plus haut que les gongs se composent de deux groupes physiques (plats et à mamelon) et que les gongs plats se subdivisent en deux entités (knah et hluê). Par-delà ces divisions physiques, les gongs plats se subdivisent en deux groupes fonctionnels antagonistes, khơk et hliang (le knah phǔn peut être considéré à part puisqu’il n’a comme rôle que celui de donner la pulsation). Le jeu des gongs peut être considéré comme un affrontement rituel de ces deux groupes antagonistes. Ainsi, c’est le knah khơk qui défie, suivi par hluê khơk et hluê khơk điêt. Les musiciens du groupe hliang, conduits par le knah hliang, doivent suivre les injonctions rythmiques de leur rival khơk sous peine d’être exclus. Si un musicien faillit, il sera remplacé par un autre. Cette joute contribuait probablement, autrefois, à former et à exprimer l’esprit guerrier, aux individus d’affirmer leur place dans la société et à la société à établir une hiérarchie de valeurs.

 

Schématiquement, le jeu des gongs s’organise comme suit :

  • knah phǔn frappe une pulsation régulière, il est le cœur sonore de l’ensemble (phǔn signifie “pied” dans le sens de “source de vie”).
  • ana čing frappe la même pulsation que knah phǔn. Le son de ce gong est plus sourd et plus difficile à suivre que celui du knah phǔn, mais sa présence est importante car il représente la mère, source de toute vie dans cette société matrilinéaire.
  • mđǔ čing frappe la même pulsation que knah phǔn mais à contre-temps. Sur appel syncopé du knah phǔn, le mđǔ čing a pour rôle d’accélérer ou ralentir la pulsation.
  • knah hliang, lui-même suivi de hluê hliang, guide sa section rythmique en suivant la pulsation du knah phǔn.
  • knah khơk suivi de hluê khơk prŏng et hluê khơk điêt jouent à contre-temps du groupe hliang.
  • čhar suit le jeu rythmique des hliang. Si, comme c’est parfois le cas, l’ensemble cesse de jouer temporairement, le čhar continuera tant que le tambour hgơr n’aura pas annoncé la fin de la pièce. À la fin d’une pièce, c’est le čhar qui termine. Puisque cet instrument est toujours joué par un homme âgé c’est, sur le plan symbolique, le mot de la fin laissé au sage, le distributeur de la parole et du silence.

Apprentissage du jeu des gongs

Le jeu des gongs ne peut se concevoir que dans le cadre de festivités ou de rituels. Aussi, est-il difficile pour les musiciens de s’entraîner en dehors de ceux-ci. Parfois, les jeunes s’essaient sur des instruments de bambou čing kram (litt. gongs de bambou) sous le regard critique et le verbe acerbe des anciens. Lorsque des jeunes montrent leur motivation pour jouer lors de festivités, on leur confie les instruments du groupe hluê. Cette séquence représente une mise en scène d'un savoir-faire ancien. Autrefois, l'apprentissage se déroulait hors de la maison.

 

Lieu et date : Viêt Nam, prov. Đắk Lắk, vill. Buon Ako Dong. 16 mars 2002.

Durée : 01:41. © Patrick Kersalé 2002-2024.


 

Les gongs à travers le coutumier

Extraites du coutumier1, quelques sentences traditionnelles dans lesquelles sont évoqués les gongs (notons que dans le texte original en langue êđê, les gongs sont désignés sous différents vocables génériques : čingknahknah hlŏng).

 

Peine en cas d’homicide : « Le paiement du prix du corps à la famille de la victime en cas d'homicide ou d'assassinat. La valeur de la personne humaine est évaluée à un čhar d'une coudée et un empan de diamètre pour une personne riche, et à un čhar d'une coudée et un poing de diamètre pour une personne pauvre. »

 

Peine en cas d'enlèvement de l'époux ou de l'épouse d'autrui : « Pour un (mari) pauvre il paiera une indemnité de six  (monnaie ancienne) et un porc de un  pour le sacrifice ; si le mari est riche il lui paiera une indemnité égale à la valeur d’un čhar d'une coudée et un empan de diamètre et un buffle pour le sacrifice. »

 

Pour les fauteurs de désordres : « Ceux qui font que les cuisses sont mouillées, que les fesses sont humides (adultère), que les gongs sont brisés, que les éléphants sont morts, que le chef est tué ; ...ceux-là sont coupables et il y a affaire très grave entre les autres et eux. »

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1. Klei duê klei bhiăn đưm. L. Sabatier. Annotations de D. Antomarchi. EFEO - 1940.

 

Le tambour hgơr

Tambour hgơr des Êdê. © P. Kersalé 1996-2024.
Tambour hgơr des Êdê. © P. Kersalé 1996-2024.

Le tambour hgơr est un gros tambour en tonneau tendu de deux peaux de buffles ou de bœufs (un mâle et une femelle) clouées avec deux ou trois rangées de chevilles de bois. Le fût est constitué d’une section de tronc d’arbre évidée. Le diamètre de chaque peau varie entre 0,70 et 1 mètre. Il est conservé et joué dans la maison. Il est installé sur des cales de bois au bout du banc monoxyle kpan sur lequel les joueurs de čing prennent place. Au cours du jeu il est frappé soit avec une mailloche et une main à plat soit avec deux mailloches. La partie supérieure de la peau frappée est généralement munie d'une série de grelots enfilés, vibrant à chaque frappe afin de d'effrayer les esprits néfastes.

Lieu & date : Viêt Nam, prov. Đắk Lắk, vill. Buon Ako Dhong. Mars 2002.

Durée : 01:45. © Patrick Kersalé 2002-2024.


 

Salutation aux invités kkuh tuê

Cette pièce a été enregistrée lors de l’inauguration d’une maison. Les sept gongs plats sont présents, mais parmi les gongs à mamelon, seul joue le mđǔ čing. Les gongs commencent à jouer au moment précis où la personne honoré au cours de la fête se saisit la première du chalumeau permettant de boire la bière de riz dans la jarre traditionnelle. Cette pièce est interprétée au début d’une fête pour appeler les invités et les accueillir.

 

Lieu et date : Buon Ako Dhong, prov. Dak Lak. 12 avril 1997.

Durée : 04:39. © Patrick Kersalé 1997-2024.


 

Salutation aux invités kkuh tuê

Autre version de la pièce précédente enregistrée dans un autre village. Au cours de celle-ci, comme dans les trois suivantes, le hgơr est absent car il n’en existait plus dans ce village. De même, il manque le mung čing, rarement joué à l’intérieur de la maison.

 

Lieu et date : Buôn Pakga. 6 mars 1998.

Durée : 01:07. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

Battre la mesure tông mđêč

Pièce interprétée après avoir entamé la jarre de bière de riz. Interprétée lors de divers événements (visite attendue ou inopinée, funérailles, cérémonie d’abandon du tombeau). Ce rythme rapide comporte de nombreuses variations initiées par le knah khơk dans le but de défier les autres musiciens.

 

Lieu et date : Buôn Pakga. 6 mars 1998.

Durée : 01:44. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

Le souffle du vent êwa angĭn

Cette pièce est une imitation et une évocation poétique : le vent souffle et l'on se réjouit de l'atmosphère joyeuse après la récolte. Contrairement aux autres pièces de gong, ce n’est pas le knah phǔn qui lance le jeu mais le hluê khơk điêt qui “montre la direction du vent”. De nombreuses nuances et variations sont jouées dans cette pièce.

 

Lieu et date : Buôn Pakga. 6 mars 1998.

Durée : 03:21. © Patrick Kersalé 1998-2024.



Jeh-Tariang

L’ensemble de gongs čêng nĭ des Jeh-Tariang est constitué de trois gongs plats et une section de bambou accordée. L’instrument le plus grave et le plus précieux čêng nĭ, qui nomme l'ensemble, est percuté à l’intérieur avec une mailloche. Son épais métal résonne longuement. Les deux autres gongs, čêng brĕ et čêng kon, sont percutés à l’intérieur respectivement avec une mailloche et un bâton. Un bambou kdut dit, accordé par l'entaille longitudinale d'une extrémité, est percuté avec un morceau de bois tendre.

Cette musique est apparentée à celle des Talieng du Laos. Pour écouter, cliquez ici.

 

Lieu et date : Kon Tum. 13 mars 1998.

Durée : 01:45. © Patrick Kersalé 1998-2024.



Jörai

Il existe plusieurs types d’ensembles de gongs chez les Jörai (J'rai, Jarai, ou Gia Rai en vietnamien), dédiés à des fonctions rituelles spécifiques (čing pŏm, čing yuan, čing hoanh, čing sa, čing lao, čing hrap…). Les čing hrap représentent la plus grande formation et, aujourd’hui, la plus répandue. Elle trouve son origine dans le sous-groupe Gia Rai Hrap et a pour rôle l’accompagnement des rites funéraires et des sacrifices aux esprits. Le nombre de gongs varie sensiblement en fonction des sous-groupes Jörai, des villages et de la disponibilité des instruments et des musiciens. La formation enregistrée dans les séquences audios présentées ci-après comporte 8 čêng (gongs à mamelon), 9 čing (gongs plats), 3 rong roih (cymbalettes à pustules), 1 gơr (petit tambour en tonneau à deux membranes).

L’orchestre est organisé en deux sections : mélodique et rythmique. Les gongs plats tiennent la partie mélodique et une mixité de gongs plats et à mamelon, la partie rythmique. Le tambour marque quant à lui la pulsation.

Pour jouer, les musiciens se tiennent debout les uns derrière les autres. Ils se déplacent toujours en ronde dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, mais pour les besoins de notre enregistrement, ils sont restés immobiles. Lors d'un sacrifice de buffle, les musiciens tournent autour du poteau sacrificiel auquel est attaché l’animal vivant. Une fois ce dernier mort, ils cessent de jouer. Leur ronde délimite une aire sensée accueillir les esprits (yang) appelés par les gongs.

La disposition des gongs dans la ronde répond à un canon fixé par la tradition. Si deux musiciens échangent leur gong, ce sont les hommes qui changent de place et non les instruments. Selon leur type, les gongs sont frappés avec une section de tige de manioc ou une mailloche rembourrée de tissu, cas de la frappe des deux plus grands gongs à bosse. Les gongs plats sont frappés à l’intérieur et les gongs à mamelon sur ce dernier.

Les noms donnés aux gongs varient considérablement selon les sous clans jörai d’une part et selon les villages d’autre part. On notera toutefois que le plus grand des gongs à mamelon est appelé ana, ce qui signifie littéralement “mère” que l’on pourrait traduire ici par “la mère tous les gongs de l’ensemble” ; rappelons que la société jörai est à inflexion matrilinéaire. Notons encore que le mamelon des gongs est nommé tơsâu čing soit littéralement “le sein du gong”.

 

 

Ci-après la liste des gongs (dans la langue des Jörai H’grông) selon un classement arbitraire, par type et par ordre décroissant de taille.

čêng (gongs à bosse)

1 ana

2 mông

3 mông aněh

4 mŏng

5 mŏng aněh

6 mông nut

7 mông hrĭ

8 mông tŭk lŭc

čing (gongs plats)

1 bơp

2 đôt

3 yok đôt

4 dê rê

5 loal

6 yok loal

7 nol

8 yok nol

9 nut

Cymbales “à pustules” => (corrélation avec les gongs)

1 rong roih ana  => (ana čêng)

2 rong roih mông  => (mông čêng)

3 rong roih mŏng  => (mŏng čêng)


Tambour

Tambour portatif gơr des Jörai. © P. Kersalé 1998-2024.
Tambour portatif gơr des Jörai. © P. Kersalé 1998-2024.

Les Jörai connaissent plusieurs types de tambours en tonneau à deux peaux clouées gơr. Le plus grand d’entre eux peut mesurer jusqu’à un mètre de diamètre au niveau des membranes ; il est conservé fixement dans la maison. Un autre, plus petit, est utilisé à l’extérieur et porté à la bretelle ou au centre d’un bâton tenu par deux porteurs. L’un et l’autre sont frappés avec un maillet ou avec la main. Le tambour joue le rôle de chef d’orchestre, donnant le signal de départ et d’arrêt, déterminant la pulsation et l’intensité du son.

 

Cymbales à pustules

Dans l’ensemble čing hrap sont utilisées facultativement trois paire de cymbales de cuivre que nous avons nommées “cymbales à pustules” rong roih eu égard aux petites excroissances garnissant leur surface interne. Elles sont parfois frappées comme des cymbales ordinaires mais leur conception les destine à être frottées l’une contre l’autre dans un mouvement rotatif ou alternatif.

À toutes fins utiles, vous pouvez voir une vidéo des gongs des Jarai du Cambodge en cliquant ici.


Musique pour le sacrifice aux génies de la maison commune Ngă Yang rông

Les enregistrements ci-après ont été effectué en 17 mars 1998 dans le village Plei Rơngol, dans la province de Pleiku. Pour les besoins de l’enregistrement, les musiciens sont demeurés statiques.

 

rum - Annonce du sacrifice

Durée : 03:09. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

vang - Appel des génies

Durée : 03:06. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

čuă - Sacrifice

Durée : 03:04. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

Musique funéraire - arang djai

 

če

Durée : 03:46. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

ko

Durée : 04:09. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

clah

Durée : 02:59. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

pet

Durée : 02:44. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

Musique de réjouissances

“Chants courtois” interprétés avec les gongs lors de la fête de sacrifice aux génies de la maison commune et lors de la fête d’abandon du tombeau, après que les pièces rituelles ont été jouées et les sacrifices effectués.

 

dam dra - Les jeunes

Durée : 03:07. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

dŏ sang - Rite d’inauguration d’une maison nouvelle

Durée : 02:57. © Patrick Kersalé 1998-2024.



Mnong Hlâm

Les Mnong Hlâm jouent deux types d’ensembles de gongs : le premier, spécifiquement mong hlâm, est composé de trois gongs à mamelon ; le second a été emprunté aux Êđê. Sur ce dernier ensemble, les Mnong Hlâm jouent le même répertoire que les Êđê.

L’ensemble de trois gongs porte deux noms différents selon qu’il est joué lors des réjouissances (gông pê pê) ou des funérailles (gông khưt – litt. gongs des morts). Il est accompagné d’un grand tambour en forme de tonneau à deux membranes găr. Chaque gong porte un nom spécifique, soit, par ordre décroissant de taille : mei (mère), sông, kuanê (enfant). Les Mnong, comme nombres d’ethnies de la région, étant à inflexion matrilinéaire, le plus grand gong est nommé “mère”.

 

 

gông pê pê - Gong de fête

Contexte : inauguration d'une maison.

Lieu et date : Prov. Dak Lak, Buon Ako Dhong. 12 avril 1997.

Durée : 02:32. © Patrick Kersalé 1998-2024.


 

gông khưt - Gong funéraire

Contexte : funérailles.

Lieu : Buôn Çuor Tak, prov. Dak Lak.

Durée : 01:16. © Patrick Kersalé 1998-2024.



Röngao

Les Röngao sont une branche des Bahnar. Ils ont une culture similaire. Pour les informations d'ordre général, se reporter aux Bahnar et Jörai.

Lieu et date : Viêt Nam, prov. Kon Tum, vill. Kon Dơsing. 17 mars 2002.

Durée : 02:02. © Patrick Kersalé 2002-2024.