Bouddhisme tibétain : les outils de l'éveil


Le bouddhisme est une voie individuelle dont le but est l'éveil, par l'extinction du désir, de la haine et de l'illusion. Pour parvenir à un tel objectif, le bouddhisme tantrique tibétain dispose d’une panoplie quasi infinie d’outils matériels et immatériels. Nous proposons ici une approche de quelques-uns d’entre eux : instruments de musique, peintures thangka et Danses sacrées du Tibet (dossier séparé).

Mais pourquoi aborder des sujets aussi divers que la musique et la peinture ? La réponse tient peut-être dans ces paroles d’un érudit tibétain : « Les sons musicaux, canoniquement ordonnés, affectent la condition psychique des humains de telle façon qu’ils deviennent plus réceptifs à la vérité. Il en va de même pour les arts plastiques : une image peinte, dans laquelle chaque détail correspond à un aspect de l’illumination, est un puissant moyen de favoriser la contemplation, de même « une image sonore » — ce qui est la nature de toute musique vraiment sacrée — a la même fonction ; elle relève de la « méthode », son but étant d’éveiller dans l’âme la « sagesse » qui y correspond ». (Lhalungpa 1969 : 6)

 

Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 2011-2024, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 7 septembre 2024.


SOMMAIRE

Le bouddhisme tibétain

Instruments du bouddhisme tibétain

. La clochette dril-bu

. Le tambour damaru

. Les conques dung-dkar

. Les petites trompes rkang-gling

. Les grandes trompes dung-chen

. Les hautbois rgya-gling

. Les tambours rnga

. Les cymbales sil-snyan & sbug-chal

. Le gong ‘khar-rnga

Peintures thangka

. En quête de beauté

. Un outil de méditation

. L'esthétique

. La roue de la vie

. La voie du nirvana

. Le mandala

 

PAE connexe

> Danses sacrées du Tibet


PISTES PÉDAGOGIQUES

  • Mandala individuel. Dessinez un mandala individuel (de nombreux modèles et techniques sur internet).
  • Mandala collectif. Créez un “mandala collectif” (des modèles référencés sous cette occurrence sur internet).
  • Masques. Créez des masques peints en papier mâché.
  • La beauté. Relève-t-elle de critères objectifs ou subjectifs ? À quoi sert-elle ? Est-elle indispensable à la vie ? 
  • Allez plus loin avec les Éditions Lugdivine.

Le bouddhisme tibétain

On désigne par bouddhisme tibétain, une philosophie-religion qui s'est développée au Tibet mais continue aujourd’hui de vivre hors de ses frontières originelles depuis l’invasion chinoise de 1959. Il existe quatre écoles principales : Nyingmapa (dits Bonnets rouges), KagyüpaSakyapaGelugpa (dits Bonnets jaunes). Cette dernière est la plus connue grâce à la personnalité du Dalaï Lama. Les différences entre ces écoles réside, par exemple, dans le fait que les Nyingmapa sont plus axés sur la méditation, les Kagyüpa sur la transmission orale, les Sakyapa sur l'ascétisme et les Gelugpa sur l'érudition.

Dans le bouddhisme vajrayāna (véhicule de diamant), le but est de devenir un bodhisattva, c’est-à-dire un “être promis à l'Éveil”. Un être éveillé n'entre pas en nirvâna mais demeure dans le saṃsāra afin d'aider tous les êtres à se libérer de la souffrance. C'est une démarche de libération collective, au contraire du hinayana où l'on recherche la libération principalement pour soi-même.


Instruments du bouddhisme tibétain

Ce chapitre propose une découverte des instruments de musique les plus communément usités dans les rituels du bouddhisme tibétain. Selon la classification Sachs-Hornbostel, trois des quatre familles sont représentées : aérophones (hautbois, trompes), membranophones (tambours sur cadre, tambour en forme de sablier), idiophones (clochette, cymbales, gong).

 

Le Bouddha et la musique

La musique instrumentale occupe une place prépondérante dans les rituels bouddhiques tibétains bien que le Bouddha fut, en son temps, réticent à la chose musicale. Les textes rapportent qu’il fit appel à l’expérience musicale de l’un de ses disciples, le dénommé Sona Kalivissa, pour lui faire comprendre l’essence de la « voie moyenne » :

 

Bouddha. « Vous étiez un habile joueur de luth, n’est-ce pas, quand vous apparteniez au monde ?

Sona. — C’est vrai, Seigneur.

B. — Lorsque les cordes de votre luth étaient trop tendues, votre luth donnait-il le ton juste ?

S. — Non, Seigneur.

B. — Lorsque les cordes de votre luth étaient trop lâches, votre luth donnait-il le ton juste ?

S. — Non, Seigneur.

B. — Lorsque les cordes de votre luth n’étaient ni trop tendues, ni trop lâches, votre luth donnait-il le son juste ?

S. — Oui, Seigneur.

 

Rôle des outils sonores

Les sons émis par les instruments représentent le reflet des sons du cosmos, qu’il s’agisse du tonnerre incarné par le tambour ou les cymbales, de la pluie ruisselante représenté par les cymbales ou les clochettes, du chant des oiseaux, voire du barrissement de l’éléphant avec les trompes. Les grands maîtres tibétains révèlent que « tout son est mantra », c’est-à-dire présence sonore de la divinité. L’énergie sonore véhiculée par les instruments a donc valeur de mantra.

 

Utilisation des outils sonores

Les rituels du bouddhisme tantrique tibétain font appel à un grand nombre d’outils sonores, chacun doté de rôles spécifiques. Si les raccourcis de langage nous invitent habituellement à parler “d’instruments de musique”, il serait préférable, dans le cadre des pratiques bouddhiques tibétaines, de parler “d’outils sonores”, car nombre d’entre eux n’ont pas de vocation musicale à proprement parler. La plupart des rituels, même les plus modestes, n’échappent pas à leur utilisation. Les instruments de base de la liturgie, utilisés par le maître de cérémonie, sont le sceptre rituel rdor-rje*, outil non sonore toujours tenu dans la main droite, et la clochette dril-bu* agitée de la main gauche. Cette clochette symbolise la connaissance et le rdor-rje les moyens nécessaires pour parvenir à cette connaissance.

 

Les outils sonores des grands rituels

Lorsque l’on pénètre dans un temple bouddhique tibétain, ce qui frappe en premier lieu, c’est la puissance sonore dégagée par chacun des outils sonores et, a fortiori, par l’ensemble. Si ces instruments n’étaient pas utilisés dans un tel cadre religieux, ils trouveraient aisément leur place dans un corps d’armée, ce qui notamment le cas dans l’armée khmère au XIIe siècle ainsi qu’en témoignent les bas-reliefs des temples angkoriens.

 

Le principe de dualité des instruments

On constate que la plupart des instruments sonores du bouddhisme tibétain présentent une forme duelle, soit par leur structure propre comme le tambour en forme de sablier avec ses deux calottes, la clochette avec son manche et sa robe, soit par dédoublement comme les cymbales, les tambours, les trompes ou les hautbois. Cette dualité apparente est particulièrement symbolique. En effet, sa présence presque excessive, à travers la structure des instruments ou dans leur organisation, est là pour rappeler qu’elle est faite pour être transcendée dans l’Illumination.

Les outils sonores tels la cloche, le tambour en sablier ou les grandes trompes sont les attributs de certains bouddhas, de divinités protectrices ou de maîtres religieux. Ce statut signe leur pouvoir lorsqu’ils apparaissent entre les mains des moines lors des rituels.

 

Localisations

Toutes les séquences ont été tournées lors du Nouvel An tibétain (losar) dans deux monastères géographiquement voisins : Shechen et Ka-Nying Shedrub Ling. Bodnath, Népal. Février 2008.

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La clochette dril-bu

Dans le bouddhisme tibétain, le son est défini comme « ce qui doit être entendu ». L’un des outils sonores les plus importants est sans aucun doute le dril-bu དྲིལ་བུ, une clochette à battant interne dont la partie supérieure se termine par un demi rdor-rje རྡོ་རྗེ, symbole de l’indestructibilité et de l’efficacité qui viennent à bout de tous les obstacles.

Le son de la clochette est là pour démontrer l’interdépendance des choses. Selon la pensée bouddhique, le son n’existe pas de manière intrinsèque, pas plus qu’il ne se trouve à l’intérieur des oreilles de l’auditeur. S’il existe, c’est parce qu’il y a une interdépendance entre l’existence de l’objet clochette, la personne qui l’agite, l’air mis en vibration et la fonction auditive du récepteur ; une manière de rappeler en permanence la notion de vacuité chère au bouddhisme.

La clochette trouve son origine dans l’hindouisme où elle est utilisée depuis des temps immémoriaux par les brahmanes.

 

Durée : 02:05. © Patrick Kersalé 2009-2024.


Le tambour damaru

Le tambour de base du rituel le plus modeste est le tambour en forme de sablier damaru ཊ་མ་རུ. Il dispose d’un système d’excitation inhabituel : des boules fouettantes. Dans le monde hindouiste dont il est originaire, il est l’un des attributs du dieu Shiva notamment sous sa forme de danseur dite Nataraja. Dans la pensée hindouiste, ce tambour symbolise la pulsation sonore à l’origine de toute création. Originellement fabriqué avec deux calottes crâniennes humaines, il rappelle que la vie naît de la mort.

Un ancien texte tibétain définit précisément le mode de fabrication d’un tel tambour : « La matière de la caisse est un crâne ou du bois ; s’il s’agit d’un crâne, il faut prendre celui d’un garçon et d’une fille respectivement de seize et douze ans. Les membranes seront faites avec la peau d’un singe, les boules percutantes façonnées dans l’os d’un oiseau aquatique. »

Le tambour en forme de sablier est aujourd’hui plus communément fabriqué avec du bois. Lors de son utilisation, il est toujours tenu dans la main droite à l’image de Shiva. Il est l’attribut des divinités protectrices comme Mahakala (mGon-po en tibétain), des messagères célestes ḍākinī et des maîtres religieux qui ont joué un rôle essentiel dans la propagation du bouddhisme au Tibet comme ici Padmasambhava.

Si le sceptre rituel rdor-rje est le symbole des moyens nécessaires pour parvenir à la connaissance, le son produit par le tambour en forme de sablier symbolise la sagesse.

Lorsque le tambour est inutilisé, il est toujours posé sur la tranche. Lors de son utilisation, le moine respecte le sens défini comme droite et gauche correspondant respectivement aux principes masculin et féminin.

 

Durée : 02:17. © Patrick Kersalé 2009-2024.


Les conques dung-dkar

Le terme tibétain dung-dkar དུང་དཀར་, utilisé pour nommer les conques, signifie littéralement “coquille blanche”. Ces coquillages marins sont parfois richement ornementés. La coquille est gravée et l’aile de métal incrustée de pierreries.

Cet instrument trouve son origine en Inde. À la fois à usage guerrier et rituel, il est l’un des huit attributs du dieu Vishnu et figure parmi les huit signes de bon augure du bouddhisme tibétain. La conque est le symbole du son du Dharma qui éveille les êtres du sommeil de l'ignorance et les incite à accomplir le bien pour soi et les autres.

Le jeu de la conque requiert peu de technique, aussi est-elle confiée à de jeunes moines. Contrairement au hautbois qui est joué avec la technique du souffle continu, la continuité sonore est assurée par un jeu alterné avec tuilage : tandis qu’un moine souffle, l’autre respire et ainsi de suite.

 

Durée : 01:33. © Patrick Kersalé 2009-2024.


Les petites trompes rkang-gling

Si aujourd’hui les petites trompes sont en métal, il n’en a pas toujours été ainsi. Le terme tibétain rkang-gling རྐང་གླིང་། qui les désigne signifie “flûte en jambe d’homme”. En effet, cette trompe était autrefois fabriquée dans un fémur humain. D’autres encore dans une corne d’animal, en cuivre, en argent et même en or. Le pavillon de ces trompes représente généralement un monstre marin ou une gueule de poisson.

 

Durée : 01:50. © Patrick Kersalé 2009-2024.


Les grandes trompes dung-chen

Pour communiquer à l’extérieur du monastère, les moines ont recours à la puissance des grandes trompes dung-chen དུང་ཆེན།. La plupart du temps, les moines-musiciens jouent par cœur. Il existe toutefois une notation musicale propre à chaque tradition bouddhique et même à chaque monastère, bien que le principe général en demeure similaire. En ce matin de fête de Nouvel An, deux jeunes moines du monastère de Shechen au Népal, annoncent l’imminence des festivités en s’aidant d’une partition dont les tracés évoquent la succession des sons grave, médium et aigu, que peuvent produire ces trompes.

La grande difficulté du jeu réside dans la recherche harmonieuse des liaisons à établir entre les différentes hauteurs sonores. Ces trompes dung-chen impressionnent à la fois par leur taille et la profondeur de leur sonorité. Il en existe de diverses longueurs pour des utilisations internes ou externes au temple.

 

Durée : 02:40. © Patrick Kersalé 2009-2024.


Les hautbois rgya-gling

Le hautbois rgya-gling རྒྱ་གླིང་། est l’instrument le plus mélodique de l’instrumentaire tibétain, mélodie au sens occidental du terme. Au cours du jeu, les musiciens assurent une continuité sonore grâce à la technique du souffle continu. Tandis qu’ils vident leur bouche de l’air emmagasiné, ils respirent simultanément par le nez. Pour parvenir à maîtriser parfaitement cette technique durant les interminables rituels, les jeunes moines s’entraînent durement, un entraînement sanctionné par un examen physiquement éprouvant.

Le développement mélodique procède par degrés conjoints en de longues tenues ornementées.

Le jeu de la paire de hautbois est souvent associé, lors des cérémonies, à celui des grandes trompes. Ici, à l’extérieur du temple, les quatre instruments soulignent, avec pompe, une partie importante du rituel.

Si les interventions des hautbois sont limitées lors des cérémonies à l’intérieur du temple, ils prennent en revanche une place importante lors des processions extérieures.

 

Durée : 02:06. © Patrick Kersalé 2009-2024.


Les tambours rnga

Deux types principaux de tambours sur cadre rnga རྔ sont utilisés lors des rituels : les tambours d’offrande mchod-rnga sont associés par paires et les tambours à main lag-rnga d’un nombre variable selon la richesse du monastère.

Les styles de frappes peuvent être divisés en deux catégories à l’image des divinités : un style dit « paisible », lent, en relation avec les « actions d’apaisement » des textes et un style dit « violent », rapide, en opposition au premier.

Les deux tambours d’offrande sont suspendus dans un cadre portique et frappés avec une ou deux mailloches.

Les « tambours à main » lag-rnga sont, comme leur nom l’indique, tenus à la main. Ils sont frappés à l’aide d’une longue baguette souple et courbe. Il en existe de différentes tailles selon que les moines peuvent l’appuyer sur un support ou qu’ils doivent le porter. Certains textes bouddhiques précisent la manière de frapper le tambour : « vers soi pour les rites de protection, vers l’extérieur pour les rites de destruction ou encore à gauche, à droite, par-dessus ou par-dessous selon la finalité recherchée. »

 

Durée : 02:28. © Patrick Kersalé 2009-2024.


Les cymbales sil-snyan & sbug-chal

Les cymbales à petite calotte centrale sil-nyan et à large calotte centrale sbug-chal སྦུག་ཆལ sont utilisées lors des rituels et remplissent différentes fonctions. Les matériaux qui les composent sont essentiellement le cuivre, l’argent, l’or, le dosage des uns et des autres influant sur le timbre.

La tenue et la technique de jeu est propre à chaque type de cymbales. Il en résulte une riche gamme de sonorités pouvant être désignées comme paisibles ou violentes. D’une manière générale, le jeu des cymbales est associé à celui des tambours.

 

Durée : 01:38. © Patrick Kersalé 2009-2024.


Le gong ‘khar-rnga

Les outils sonores des monastères tibétains remplissent deux rôles distincts. L’un a trait à la communication distante à l’intérieur du monastère (regroupement des moines pour les repas ou la prière) ou vers l’extérieur (appel des adeptes à la prière). L’autre, la plus importante, est dédiée aux rituels.

Pour communiquer à l’intérieur des monastères, un gong 'khar-rnga འཁར་རྔ, d’une puissance limitée, invite notamment les moines à rejoindre le temple. Pour cela, le moine désigné utilise un code de communication basé sur un nombre et un rythme précis de frappes connus de tous.

 

Durée : 02:14. © Patrick Kersalé 2009-2024.



Peintures thangka

Le thangka (ou thanka) (littéralement “chose que l'on déroule”) est une peinture sur toile, caractéristique de la culture tibétaine. On en trouve de toutes les tailles, depuis les thangka portatifs que l'on enroule et déroule grâce à deux baguettes passées dans leurs ourlets, jusqu'aux thangka monumentaux destinés à être déroulés le long d'une pente ou d'un mur, qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de mètres.

Les thangka représentent généralement des diagrammes mystiques symboliques (mandala), des divinités du bouddhisme ou de la religion bön, des épisodes de la vie du Bouddha… Ils sont le plus souvent destinés à servir de support à la méditation mais ils deviennent de plus en plus des objets décoratifs.

Si les thangka sont caractéristiques de la culture tibétaine, ils semblent trouver leur origine au Népal chez les primo-habitants de la vallée de Kathmandou, les Newar, dès le XIe siècle, avec des artistes bouddhistes et hindouistes.

En quête de beauté

Le maître de peinture sikkimais Denzong Norbou s’exprime, au travers de métaphores, sur le sens de la quête de la beauté, sur sa nature profondément humaine. Il s’exprime ainsi : « Au commencement, l’enseignement est venu par le son. Le son est propre à tous les êtres, pas seulement les humains, mais aussi les oiseaux, les animaux, ils peuvent entendre les sons. A partir de ces sons, les hommes ont pu enseigner, devenir paisibles, répandre le dharma c’est-à-dire les enseignements du Bouddha… c’est la raison pour laquelle on a utilisé la flûte ou le luth et après la musique, sont venues les danses. La danse est une manière de rendre les gens joyeux. Qu’est-ce que la joie ? Autrefois les gens ne connaissaient pas la musique et la danse. Après avoir développé cette musique pour se rassembler et ces danses pour se réjouir, les gens se sont demandé : "Comment tout cela est-il venu ?" Alors ils se sont dit : "C'est là la pratique du dharma» : la paix, l’amour et la paix. Comment vivre l'amour ? Comment conserver la paix ? Suivons cette règle et alors nous  serons en paix et nous serons joyeux. Voilà pourquoi on fait des décorations, de la musique, de la danse, c’est ainsi… »

La flûte gling-bu et le luth pi-wang ou sgra-snyan dont parle Denzong Norbou ne sont plus utilisés dans les rituels tibétains. Toutefois, l’iconographie les présente sur les murs internes, externes des temples ou encore sur les thangka. Dans la symbolique bouddhique, ces instruments représentent le son, l’une des cinq gratifications sensorielles destinées à combler les divinités.

Le choix de ces instruments plonge là encore sa source dans la tradition indienne. Le luth vina et la flûte sont fréquemment représentés entre les mains des musiciens célestes. Le luth est l’instrument symbolique de Sarasvati, la déesse de la musique, et la flûte, celui du dieu Krishna.

Quant à la forme du luth, elle est le plus souvent inspirée d’instruments joués par certaines ethnies des régions himalayennes.

 

Denzong Norbou a passé son enfance au Sikkim. Très jeune, il a eu un maître de peinture, nommé Rigzin Lhadipa issu de l'école Menri, l'une des écoles de la peinture tibétaine. Lorsque le 16e Karmapa est venu au Sikkim, avant l'invasion chinoise, il lui a demandé de l'accompagner à Toloung Tsourpou, siège des Karmapas, dans l'est du Tibet. Il y a étudié l'art Karma Gardri, tout en vivant auprès du Karmapa pour qui il a exécuté de nombreuses œuvres

Depuis que le Karmapa s'est réfugié au Sikkim, Denzong Norbou, qui est son disciple, vit près de Rumtek. Il est resté à son service depuis plus de trente ans. Il a pour spécialité les fresques murales. Il en a peint de nombreuses dans le monde entier. Il exécute aussi des thangkas pour des commandes spécifiques.

Récemment, il s'est mis à voyager pour enseigner son art ; il est parti à Copenhague, en Allemagne et en Russie. Il travaille aujourd’hui essentiellement au centre Dhagpo Kundreul Ling, au Bost en Auvergne.

 

Denzong Norbou s’exprime ainsi sur la notion de beauté : « Qu’est-ce que la beauté ? Une chose. Pourquoi les gens préfèrent les jolies filles aux vieilles femmes de 60-70 ans. C’est la nature humaine ! C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de beauté. Quand la fleur arrive à maturité, on la cueille. Mais quand la fleur est fanée ou seulement un peu fanée, on la jette, on ne la garde pas dans un vase pour décorer. C'est la nature humaine. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de décoration, de peinture, de couleurs… »

 

Durée : 02:50. © Patrick Kersalé 2009-2024.



Un outil de méditation

Gyan Bahadur Tamang est peintre de thangka à la Lama Thangka painting school de la ville de Bhaktapur dans la vallée de Kathmandou (Népal). Il s’exprime ainsi : « Les thangka relèvent d’un art traditionnel et philosophique. Thangka est un terme tibétain que l’on peut traduire par peinture. Il est composé de deux mots différents : thang et ka. Thang signifie « surface plane » et ka « peinture ». Ainsi, les peintures réalisées sur des surfaces planes sont dénommées thangka. Les thangka sont utilisés pour la méditation, pour l’esprit, pour l’adoration... La plupart d'entre eux sont peints sur les murs des monastères, dans les grottes ou les centres de méditation. Mais ce n'est pas pratique ; les gens doivent se rendre dans les monastères, les centres de méditation ou les grottes. Alors, autrefois, les artistes et les moines ont décidé de peindre sur du coton. Ainsi, on peut rouler les thangka et les mettre dans son sac. Où que l’on aille, on peut les sortir et les utiliser pour la pratique de la méditation. Voilà pourquoi on a commencé à peindre sur des toiles de coton.

Les thangka sont utilisés pour la méditation, pour l’esprit, pour l’adoration... La plupart d'entre eux sont peints sur les murs des monastères, dans les grottes ou les centres de méditation. Chaque type de thangka a sa propre philosophie, sa propre histoire. Les artistes les connaissent, ils les ont visualisés, les ont créés avec leur esprit et ils les ont peints. Généralement, ce que nous réalisons à travers ces peintures sont soit des mandala, soit la vie de Bouddha, soit la Roue de la Vie ou encore différentes images, différents personnages comme Tara verte, Tara blanche, Manjushri, différentes images de Bouddha, Avalokiteshvara. Il existe des milliers d'images. »

 

Durée : 02:00. © Patrick Kersalé 2009-2024.



L’esthétique

Gyan Bahadur Tamang : « Pour peindre les thangka, nous utilisons différentes couleurs de base. Traditionnellement ce sont des couleurs soutenues. Si nous observons des thangka très anciens, nous constatons que les artistes utilisaient des couleurs primaires soutenues. Mais aujourd’hui les artistes mélangent les couleurs et peignent différemment. La tradition a fixé des règles concernant l’utilisation des couleurs. Par exemple, lorsque l'on veut peindre l'image du Bouddha, nous devons tout d’abord définir quel type de Bouddha. Si par exemple on veut peindre le Bouddha Shakyamuni, il faut utiliser l'or pour le corps. Il devrait toujours être de couleur or. Nous ne pouvons pas utiliser le rouge, le bleu ou le vert. Il existe d'autres bouddhas avec différentes postures. Alors, pour eux, nous pouvons utiliser d'autres couleurs. Voilà, il existe certaines règles que nous devons suivre. Mais pour certains détails, pour le dessin, l’artiste souhaite interpréter. Mais comment peut-il interpréter ? Comment peut-il voir ces autres détails ? S’il change les fleurs, les paysages, les montagnes, les nuages... Les artistes ont leurs propres sentiments, leur expérience... Ils sont dans les thangka. »

Denzong Norbou : « Divers textes donnent différentes explications à propos des couleurs, mais d’une manière générale, le vent est vert, le feu rouge, le ciel bleu, l’eau n’a pas de couleur parce que c’est l’environnement qui la colore. Quant au bois, il est toujours de couleur brune. Le jaune symbolise le plus souvent la terre. Mais de quel jaune s’agit-il ? Cela dépend de l’artiste, du jaune qu’il souhaite employer. Jaune citron ? jaune orangé ? jaune clair ? La tradition de la lignée bouddhique intervient également selon que l’on est dans la lignée Kagyupa, Nyingmapa, Gelugpa… Aujourd’hui les Kagyupa et les Nyingmapa sont similaires, même les Sakyapa qui sont une ancienne tradition. Au Bhoutan, la tradition Drugpa Kagyu dispose de ses propres couleurs. Ils ont un autre point de vue. »

Durée : 03:48. © Patrick Kersalé 2009-2024.



La roue de la vie

Gyan Bahadur Tamang : « Le thangka appelé « La Roue de la Vie » est plus un art philosophique. La Roue de la Vie est généralement peinte sur les murs des monastères afin d'enseigner le propos de la souffrance. Dans la Roue de la Vie, nous trouvons des personnages effrayants, terribles et la divinité de la mort appelée Shin’dje en tibétain. Mais en réalité, il est bon pour la justice et la protection.

Dans cette roue, on trouve six mondes différents. Au sommet, il y a la vie des dieux, en bas la vie en enfer, puis celle des humains, des demi-dieux, des animaux, et les fantômes… les esprits.

Il y a donc six royaumes différents et tous les êtres doivent se réincarner chaque fois qu'ils ont un mauvais karma, quand ils souffrent. Les souffrances sont représentées dans le centre de la peinture. Il y a trois animaux : le serpent, le coq et le porc. Le serpent représente la colère, le coq l'avidité et le porc l'ignorance et la paresse. Chaque fois que nous sommes en colère, avide, ignorant, paresseux, nous ne pouvons pas faire de bonnes choses. Et cela ne se limite pas à ces seules souffrances, nous en avons plus encore : la jalousie, la fierté, beaucoup de désirs négatifs...

Avec toutes ces souffrances, nous pouvons certainement faire de bonnes choses, mais aussi de mauvaises actions. Alors, lorsque nous faisons de mauvaises actions, à ce moment-là, nous devons renaître dans l'une de ces six vies. Cela signifie que notre vie tourne toujours en rond. Dans cette tradition, nous estimons que nos vies sont toujours dans un monde de souffrance et nous ne pouvons jamais échapper à cette réalité. Pour y échapper, il faut éviter tout cela et alors nous pourrons devenir Bouddha et atteindre le nirvana.

Ainsi, la représentation de la Roue de la Vie est l'une des peintures les plus conscientes, utilisée pour les enseignements liés à la libération de la souffrance. C'est pourquoi elle est souvent peinte sur les murs des monastères. » 

Durée : 02:59. © Patrick Kersalé 2009-2024.



La voie du nirvana

Gyan Bahadur Tamang : « Il existe une autre peinture appelée « la Voie du nirvana » ou encore « la purification de l'esprit ». Cela signifie qu’au début, notre esprit est impur. Il est représenté ici par un éléphant de couleur sombre ressemblant à un éléphant sauvage. Dans l'image, il semble incontrôlable. Mais à force d’enseignement, il devient peu à peu plus éclairé. Au départ, seule la tête de l’éléphant devient blanche, puis la moitié du corps, puis plus de la moitié. Au final il devient complètement blanc. Cela signifie que notre esprit peut être purifié par l'enseignement. »

Durée : 01:21. © Patrick Kersalé 2009-2024.



Le mandala

Gyan Bahadur Tamang : « Le mandala est un univers spirituel. Il est toujours concentrique. Son centre représente le nirvana. Pour y accéder, il faut atteindre l’Éveil. Pour cela, il faut faire de bonnes actions. Parvenir au centre du mandala nécessite de traverser les cercles, de trouver les entrées, de traverser les carrés… finalement on atteint le nirvana. Mais si l'on fait de mauvaises actions, on ne peut atteindre le nirvana. Alors on ressort du mandala pour renaître : c’est ce que l’on appelle la réincarnation. Ainsi, tous les êtres doivent faire beaucoup d’actions positives pour atteindre l'illumination et gagner le nirvana.

Les peintures en forme de mandala sont utilisées pour la méditation. Pour cela, les gens disposent le mandala face à eux, fixent leur regard dessus, se concentrent et le visualisent. Parfois, ils sont en mesure de se concentrer, de visualiser et de voir le mandala. Quand ils parviennent au centre du mandala, ils ont atteint leur objectif de méditation. C'est pourquoi ces peintures sont appelées “dispositifs de méditation” ».

Durée : 01:48. © Patrick Kersalé 2009-2024.